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Travail de mémoire

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2205 15 juillet 2022

Le quotidien 24 heures, sous la plume de M. Dominique Botti, a marqué le quarantième anniversaire de la mort du fondateur de la Ligue vaudoise en publiant une pleine page sur l’antisémitisme, avec les sempiternelles redites sur les sempiternelles mêmes «découvertes».

Dans la dernière Nation, M. Félicien Monnier a répondu indirectement, en évoquant le riche héritage de réflexions philosophiques, politiques, théologiques et artistiques que lui et sa génération ont reçu de M. Regamey. L’antisémitisme, faut-il le dire, n’en fait pas partie.

Le contenu de l’article de 24 heures appelle quelques remarques de forme et de fond. D’abord, il est difficile de juger des écrits d’avant la Deuxième Guerre mondiale sans les contextualiser, c’est-à-dire sans les réinsérer dans l’ambiance intellectuelle et morale de l’époque: examiner s’ils ont eu ou non des retombées néfastes directes; étudier les réactions ou, en l’occurrence, l’absence de réactions qu’ils ont suscitées dans les médias convenables de l’époque; les comparer avec ce que publiaient ces médias eux-mêmes ; les comparer aussi avec la violence que prônaient certains groupes d’action.

Reconnaissons que l’auteur de l’article fait un pas dans ce sens. Il donne la parole à Mme Anne Weill-Lévy, juriste, qui replace l’antisémitisme dans un cadre général: «Toute l’Europe y adhère à des degrés divers jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La Suisse n’y échappe pas». C’est une donnée que nos ennemis passent sous silence quand ça les arrange.

Précisons: contextualiser, ce n’est pas nier la responsabilité de l’auteur en invoquant je ne sais quel déterminisme social ou moral. C’est simplement établir le plus honnêtement possible la portée et les limites de cette responsabilité.

Contextualiser, c’est aussi examiner les écrits anciens de l’auteur à la lumière de ses écrits récents. Cela permet de distinguer ce qui est fondamental et ce qui est contingent. Quelques citations tirées d’articles ultérieurs de M. Regamey1 auraient mis en évidence le caractère circonstanciel de l’antisémitisme initial.

L’historien fraîchement retraité Alain Clavien conteste ce caractère circonstanciel. Selon lui, l’antisémitisme de la Ligue vaudoise a subsisté après 1945, mais en sourdine: «Le fondateur écarte les éléments les plus choquants de sa pensée, sans renier pour autant ses convictions, pour privilégier le fédéralisme, la défense de l’âme et la culture vaudoises»2. Admirons cet historien «scientifique» qui décrète quelles sont les convictions cachées d’une personne qu’il ne connaît pas!

De toute façon, les convictions cachées de M. Regamey ne sont pas l’objet du débat. On parle de la doctrine de la Ligue vaudoise, c’est-à-dire de ce qu’il a enseigné et publié dans le cadre de la Renaissance vaudoise.

Cette hypothèse d’une mutation éditoriale opportuniste, substituant le fédéralisme à un antisémitisme désormais inavouable, n’est pas soutenable. Elle le serait peut-être si La Nation n’avait publié, dès l’édito du premier numéro et dans tous les numéros qui se succédèrent jusqu’aujourd’hui, d’innombrables articles défendant la souveraineté cantonale et la culture vaudoise.

M. Clavien exclut a priori la possibilité d’une évolution de la doctrine de la Ligue vaudoise. Cette «essentialisation» les arrange, lui et ses compères de l’histoire engagée. Elle leur permet de continuer à dénoncer notre antisémitisme comme s’il s’agissait d’une réalité actuelle alors que, depuis plus de cinquante ans – c’est-à-dire plus de mille deux cents numéros de La Nation –, on n’en a pas vu trace dans nos colonnes.

Autre approche biaisée, l’auteur de l’article affirme: «Jusqu’en l945, l’antisémitisme n’est pas un élément marginal dans la doctrine de la Ligue vaudoise.» Cette affirmation est criante de fausseté: si l’antisémitisme avait été un élément doctrinal central, il aurait tout naturellement inspiré des articles dans tous les numéros de La Nation. Or, de tels articles furent rares et leur fréquence ne cessa de décroître jusqu’à leur disparition définitive, bien avant la mort de M. Regamey.

Au fil des années, des rencontres professionnelles et des combats politiques, M. Regamey avait noué des liens d’estime, voire d’amitié avec maints représentants de l’officialité. A sa mort, le conseiller fédéral Georges-André Chevallaz et le président du Conseil d’Etat Marcel Blanc lui rendirent hommage. Des personnalités politiques vaudoises de premier plan assistèrent à son enterrement, honorant un adversaire qui ne leur faisait pas de cadeau sur le plan des idées, mais qui argumentait, qui respectait les personnes et qui, tout de même, avait efficacement voué sa vie au bien commun du pays.

Ce rappel de faits avérés devrait inciter M. Clavien à réviser son jugement. Il ne le peut. A l’image de toute l’extrême-gauche de la recherche historique contemporaine, il reste aveugle et sourd aux réalités qui ne correspondent pas à ses présupposés idéologiques. Retournant les faits à son avantage, il reproche à l’officialité vaudoise de ne pas faire son «travail de mémoire» et d’observer l’«omerta», c’est-à-dire la loi du silence, au sujet de la Ligue vaudoise. Une question se pose alors: qui la fait régner, cette omerta? La Ligue elle-même? On sombre dans le complotisme et, plus encore, dans le ridicule.

Revenons à ce «travail de mémoire», qu’on nous reproche de ne pas faire, car c’est là qu’éclate la mauvaise foi de nos adversaires. Dans les années 1990, M. Roland Butikofer, étudiant en Lettres, nous proposa de consacrer sa thèse à l’histoire de notre mouvement jusqu’à la fin de la guerre. Nous l’avons accepté et mis toutes nos archives à sa disposition. La thèse qu’il en tira fut soutenue le 19 octobre 19953. Elle parut une année plus tard chez Payot, sous le titre de «Le refus de la modernité» et sous-titré: «La Ligue vaudoise: une extrême droite et la Suisse (1919-1945)»4.

M. Butikofer, il nous l’avait dit d’emblée, ne partageait pas nos idées. Et son directeur de thèse n’était autre qu’Hans-Ulrich Jost, qui nous détestait. C’est dire qu’il n’y aurait, dans cette thèse, pas la moindre complaisance. Et pourtant, ainsi que le note 24 heures, elle ne consacre que quelques pages sur cinq cents à l’antisémitisme: il n’y avait simplement pas plus à en dire.

Ainsi donc, non seulement ce fameux «travail de mémoire» a été fait, mais il a été conduit par un historien extérieur à notre mouvement et qui a porté sur lui un regard des plus critique. Quel autre mouvement en a fait autant?

Notes:

1  En particulier: «Responsabilité des Juifs», La Nation N° 713, du 20 avril 1965, et «Il a fait refleurir le désert», La Nation N° 770, du 1er juillet 1967.

2  Le texte ne permet pas de savoir si c’est M. Clavien qui parle ou si c’est M. Botti qui rapporte ses paroles.

3  Cf. «Une thèse de doctorat sur la Ligue vaudoise», Philibert Muret, La Nation N° 1509 du 28 octobre 1995

4  Cf. «Un fascisme vaudois?», Philibert Muret, La Nation N° 1536 du 8 novembre 1996.

 

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