La cyberadministration, facteur de centralisation?
La cyberadministration, parfois aussi appelée eGovernment, ou administration électronique, regroupe l’ensemble des projets étatiques, à tous les niveaux de l’Etat, qui utilisent les TIC1 pour réaliser des processus administratifs à l’interne de l’administration (le traitement de données et la gestion de dossiers) et pour les prestations à destination des administrés (récolte de données, consultation du dossier, transmission des décisions).
Les plateformes actuelles visent à numériser la démarche administrative elle-même, celle-ci pourra alors être réalisée directement en ligne.
Concrètement, le nombre de projets menés semble presque infini. Tous les domaines du droit sont touchés par de nombreux projets, tant au niveau fédéral que cantonal ou communal. En droit fédéral, on songe à la numérisation des registres d’état civil et du commerce, aux projets de eJustice et à la numérisation des dossiers au sein des tribunaux, au projet d’eHealth et au dossier électronique du patient. Au niveau cantonal, certains cantons ont créé un guichet virtuel unique pour réaliser certaines démarches administratives à leur niveau, d’autres travaillent avec des plateformes dédiées à un sujet: annonce de manifestations, demande de permis de construire.
Pourquoi numériser?
L’utilisation des TIC au sein des administrations n’est pas récente. Pourtant, la Suisse est souvent présentée comme en retard dans ce domaine. Dans de nombreux documents officiels, on peut trouver trois justifications à cette numérisation croissante. Premièrement la volonté pour l’Etat de suivre le «sens du progrès»; les entreprises privées ayant pris le train de la «révolution 4.0», l’Etat ne pouvait pas ne pas adapter ses processus aux systématiques issues des entreprises.
Deuxièmement la recherche d’efficacité dans l’action étatique. En effet l’informatique doit permettre d’améliorer la qualité des services et la simplicité des démarches administratives, tout en améliorant la vitesse de traitement des dossiers. Cette recherche d’efficacité vise également à réaliser des économies. Ces gains d’efficience résulteront du temps gagné dans la saisie et le traitement de données par le personnel administratif. La recherche de cette efficacité correspond au principe constitutionnel de la conduite rationnelle des affaires de l’Etat (art. 43a al. 5 et 178 Cst.), un principe dont nous ne contestons pas la pertinence.
Quels risques alors pour le fédéralisme?
En voulant appliquer les principes énoncés par la déclaration de Tallinn2, la Confédération se trouve forcée de centraliser. Parmi ces principes, citons le «digital by default», toute prestation administrative doit être fournie numériquement, ou le «once only» qui prévoit que les administrés ne doivent transmettre qu’une seule fois leurs données et certificats, peu importe l’autorité et le domaine du droit en présence.
Afin d’appliquer ces principes et de réaliser des économies d’échelles, l’administration fédérale est souvent encouragée à ne créer qu’une seule plateforme pour toute la Suisse. Pour des domaines relevant du droit fédéral, elle peut effectuer de tels changements sans réelles oppositions des cantons. Toutefois, pour des données qui relèvent du droit cantonal ou communal, l’administration fédérale utilise des formes de collaborations multipartites ou met à disposition des plateformes en encourageant les cantons à les utiliser.
La standardisation technique participe également à enlever des compétences aux cantons. En effet afin de permettre l’interconnexion entre les différents services, il est nécessaire d’adopter des définitions communes des processus et des standards à utiliser dans le codage des plateformes. Une fois la plateforme mise en place, il sera par ailleurs très difficile et coûteux de revenir sur les systématiques de traitement et son fonctionnement interne, quel que soit le résultat d’un vote populaire.
Mais alors pourquoi défendre le fédéralisme à l’heure de la numérisation?
Outre la volonté du constituant, qui a voulu d’un système aussi décentralisé que possible, nous sommes d’avis que la valeur des propositions des cantons et des communes, laboratoire permanent qui vise à adapter au mieux le processus administratif aux besoins des administrés, est une des forces de notre pays. Ainsi la rationalité du processus ne devrait pas être uniquement évaluée sous l’angle des coûts ou de la facilité d’implémentation d’une plateforme, mais devrait également prendre en compte d’autres principes fondamentaux auxquels appartient le fédéralisme.
Les Chambres doivent se saisir cet automne de la LMETA3, nous espérons que ce sera l’occasion de conduire un réel débat public sur l’informatique dans le système démocratique et fédéral suisse.
Notes:
1 Technologies de l’information et de la communication, auxquelles appartiennent aussi bien les ordinateurs de bureau que des sites internet ou des plateformes web. L’intelligence artificielle, IA, fait également partie des TIC, même si on a souvent tendance à utiliser la notion plus détaillée pour décrire ce phénomène.
2 Déclaration des ministres du Conseil de l’UE du 6 oct. 2017 sur la cyberadministration.
3 Dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes en date du 7 mai 2021 (La Nation n° 2174).
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- UNIL: une loterie pipée d’avance – Editorial, Félicien Monnier
- L’année Davel est lancée – Antoine Rochat
- Mystère budgétaire – Jean-François Cavin
- Actualité LMETA – Marc-Olivier Busslinger
- Comme un obscur désir de guerre – Olivier Delacrétaz
- Un maître et un dieu – Jacques Perrin
- Le prix de l’électricité – Cédric Cossy
- La Barre est rigide – Jean-François Cavin
- † Daniel Hessler – Pierre-François Vulliemin