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Un maître et un dieu

Jacques Perrin
La Nation n° 2211 7 octobre 2022

La Ligue vaudoise n’a aucune visée séparatiste. Le Pays de Vaud veut vivre de façon autonome dans la Confédération helvétique. Le problème est que, comme souvent, des voix s’élèvent pour que la Suisse se soumette à des maîtres étrangers, l’OTAN et l’Union européenne, et à une déesse nouvelle, Gaïa, unie à l’idole arc-en-ciel Diversité.

Quelques articles récents ont attiré notre attention sur le fait que les chercheurs de l’intelligentsia dominante considèrent l’Amérique communautariste des Démocrates de Joe Biden comme le meilleur maître.

La Première Guerre mondiale a affaibli la France et l’Empire britannique tandis que la Seconde saignait l’Allemagne et la Russie. Par l’intermédiaire de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, l’Amérique, première puissance mondiale, tient en laisse la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, la Turquie et les pays de l’ex-bloc soviétique, entre autres. L’Australie, le Canada, le Japon, la Corée du Sud sont aussi liés aux Etats-Unis. Cet ensemble constitue l’Occident qui prétend aujourd’hui défendre l’Ukraine contre Poutine.

Selon Lars-Erik Cederman, chercheur spécialisé dans les conflits à l’EPFZ, binational suisse et suédois, interrogé par Migros Magazine du 5 septembre, ce sont la démocratie, l’Etat de droit, la liberté, la paix et les idéaux des Lumières qui sont en jeu. Le rôle des Etats-Unis consiste à faire respecter nos valeurs démocratiques. Cependant le chercheur est embarrassé. L’Amérique de Biden est minée, selon Cederman, par une crise intérieure, la plus grande menace pour notre sécurité […] La plus puissante et la plus ancienne démocratie du monde ne maîtrise pas ses ennemis dans son propre pays. Les membres du Parti républicain se moquent que leur président ait tenté un coup d’Etat à la fin de son mandat. Les Républicains pourraient reprendre la Maison Blanche en 2024. Le front contre la Russie et les autocraties s’effondrerait; les Etats-Unis sous la direction de Trump ou de DeSantis se retireraient peut-être de l’OTAN. L’Europe, toujours selon Cederman, devrait se préparer à assurer sa propre sécurité face au nouveau tsar Poutine. Le chercheur se réjouit que l’Occident ait été uni et déterminé pour défendre l’Ukraine et que l’Allemagne veuille investir cent milliards afin de rebâtir une armée, car nous nous sommes bercés d’une fausse sécurité.

Comment la Suisse devrait-elle alors se comporter? La neutralité est-elle utile? Cederman répond: Celle-ci fonctionne seulement si on l’interprète de manière aussi flexible que le fait actuellement le Conseil fédéral, mais la Suède et la Finlande sont déjà plus avancées et souhaitent intégrer l’OTAN. Il faut un changement radical de mentalité. Cederman constate avec plaisir que certains conservateurs pourraient au moins envisager un rapprochement avec l’OTAN […] la Suisse serait intégrée dans une stratégie de défense commune du continent. Une meilleure relation avec l’UE serait également utile.

Relativement à la neutralité, Cederman juge que le parti Vert’libéral a une position constructive. Le PS le déçoit à cause de son nombrilisme syndical populiste, juste pour quelques sous. Quant à la forme très traditionnelle de neutralité défendue par l’UDC, Cederman dit: Monsieur Blocher vit dans le mauvais siècle. Ses conceptions sont nuisibles à l’économie et à la place financière […] la notion de neutralité a toujours évolué, elle n’est pas sacrée […] le type de populisme que l’UDC pratique fait en réalité partie du problème […] Nous avons des ennemis extérieurs, mais aussi des ennemis intérieurs. Nous gagnerons contre les autocrates en veillant à ce que la vie dans notre partie du monde soit plus attrayante que dans les Etats autoritaires. Nous resterons alors un modèle désirable pour les gens de là-bas aussi.

Dans le Figaro du 15 septembre, Frédéric Encel, docteur en géopolitique, se montre plus confiant. Selon lui, l’Amérique ne décline pas. En Ukraine et à Taïwan, elle démontre un engagement très ferme et accroît le nombre de ses alliés. Quant à l’Europe, elle réorganise avec rapidité ses réseaux d’approvisionnement et renforce sa solidarité énergétique. Oui, l’Amérique est divisée à cause du déclassement voire la désespérance des classes moyennes et populaires blanches, on peut s’inquiéter pour la paix civile, mais Joe Biden est en train de s’affirmer comme un président déterminé tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. De l’Europe, l’Afrique ou l’Amérique latine, je ne sache pas que beaucoup de gens cherchent à s’exiler en Chine ou en Russie, affirme le politologue français.

Même son de cloche dans 24 heures du 26 septembre où Dominique Reynié, professeur à Sciences Po, affiche son optimisme: même une populiste comme Giorgia Meloni est pro-européenne et pro-atlantiste […] Elle n’a plus d’options aventurières à cause de la dépendance de l’Italie à la Banque centrale européenne. L’Amérique nous a sauvés entre 1941 et 1945. Elle nous sauvera encore. L’URSS n’aurait pas gagné la guerre sans les milliards du prêt-bail américain – rappelons cependant à M. Reynié que les pertes en hommes de l’URSS représentèrent 88% des pertes alliées en Europe (2,2% pour les Etats-Unis…).

Le 23 août, 24 heures célébrait la première ministre finlandaise, Sanna Marin, élevée au sein d’une famille arc-en-ciel, proie des internautes populistes pour s’être montrée en train de festoyer. Le quotidien nous apprenait que le Centre d’excellence de communication stratégique de l’OTAN considérait l’ampleur des attaques contre Mme Marin comme une menace contre la démocratie. Il est vrai qu’elle venait de proposer l’adhésion de la Finlande à L’OTAN.

La Ligue vaudoise ne s’enthousiasme pas pour ce projet d’«adaptation» et de «rapprochement». Nous défendrons une autre conception de la neutralité, insistant sur la contribution de celle-ci à l’unité de la Confédération et à sa survie. A quoi bon se défendre si on n’existe plus?

Ni nouveau dieu, ni maître, que celui-ci soit russe, chinois ou américain.

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