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Une voix s’est tue

Vincent Hort
La Nation n° 2216 16 décembre 2022

Nombreux ont été les hommages rendus à Michel Bühler après son décès survenu début novembre 2022. Né en 1945, le Ste-Crix s’était imposé depuis des décennies comme une figure reconnue de la chanson romande et francophone, mais il était également un poète, un écrivain, un homme de média et un acteur fortement identifié au Jura vaudois et aux luttes sociales.

Celui qui avait écrit et joué en 1988 Le retour du Major Davel s’en va à la veille de la commémoration du tricentenaire de la mort du héros national vaudois. Bien qu’antimilitariste1, Michel Bühler partageait bien des traits communs avec le Major. Ils étaient tous deux profondément attachés au Pays de Vaud, attentifs aux plus modestes, capables de susciter de grands élans de sympathie et, à la fin, pas vraiment suivis par leurs contemporains.

Les médias ont salué à juste titre l’ampleur de l’œuvre musicale du compositeur-interprète vaudois, créée entre Paris et L’Auberson. Plus de 300 chansons, souvent fortes et inspirées, figurent à son répertoire. On se souvient aussi de son engagement politique, résolument à gauche, pour la défense des petits, des pauvres, des humiliés et des réfugiés, ici et à l’échelle planétaire. L’un de ses derniers combats portait sur l’implantation d’éoliennes au-dessus de Sainte-Croix. Il s’y s’opposait fermement comme à autant de blessures industrielles, absurdes et monstrueuses faites au paysage éternel et sublime de son Jura natal.

Chanteur, Michel Bühler était aussi un écrivain et un témoin. Avec La parole volée2, il a su faire le récit poignant de la longue agonie des usines Paillard, puis Hermès Précisa International, de Sainte-Croix, des luttes d’ouvriers progressivement dépossédés de leur savoir-faire, de leur travail, de leur identité. C’était les prémices de la mondialisation. D’autres publications comme Lettres à Ménétrey, La Plaine à l’Eau-Belle ou simplement Jura sont aussi des œuvres fortes exprimant avec sensibilité et justesse la condition souvent difficile des gens ordinaires, les injustices, l’amitié, la solidarité mais aussi la permanence et la splendeur du Jura vaudois. Il a sans doute été moins heureux avec Un si beau printemps3 où le Ste-Crix tente, sans y parvenir, d’expliquer à ses neveux ce qu’ont été ses enthousiasmes, ses révoltes, ses utopies: «Une révolution a eu lieu. Pas celle que nous espérions.» A travers une écriture parfois laborieuse, on mesure le gouffre d’incompréhension qui sépare sa génération idéaliste de celles qui l’ont suivie, matérialistes, technologiques et tellement individualistes.

Michel Bühler était un chanteur et il était engagé, mais il était tout sauf un «chanteur engagé» dans le sens que l’on prête aujourd’hui aux éphémères vedettes marketing dont les fausses audaces soulignent surtout le conformisme à l’esprit du temps. Avec son talent, ses convictions, ses colères, sa substance, sa bonhommie, son ironie et sa sensibilité, Michel Bühler était au contraire un homme vrai, charpenté, solide, dont la voix portait autant pour dire la dignité bafouée des humbles que les beautés du Pays. Cette voix s’est tue, elle nous manquera.

Notes:

1   Il faut absolument écouter et réécouter la chanson Les Grandes Manœuvres, tout y est.

2   Michel Bühler, La Parole Volée, Editions L’Age d’Homme, 1998, 280 pages.

3   Michel Bühler, Un si beau printemps, Bernard Campiche Editeur, 2009, 224 pages.

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