Communauté en acte, communauté en puissance
Allongés dans l’herbe d’une prairie des Ormonts, face au massif des Diablerets, une quinzaine de participants à l’édition 2023 du Camp de Valeyres ont évoqué, le premier après-midi du camp, ce couple central de la métaphysique aristotélicienne que constituent la puissance et l’acte.
Un ami libraire-philosophe – alors que des fourmis particulièrement agressives s’attaquent à ses chevilles – nous expose comment Aristote parvint, à rebours d’Héraclite et de Parménide, à situer tant la permanence que le changement dans l’être même des choses.
Les figures végétales se prêtent particulièrement bien à l’illustrer. Le gland est un «gland en acte», mais un «chêne en puissance». Un être humain naît, vit et meurt. Il reste le même, son essence demeure, malgré que ses cheveux grisonnent ou qu’il change de métier. La puissance détermine ce à quoi il peut aspirer être en acte. L’être vivant – doué d’une âme, d’un principe vital – poursuit sa nature. L’expression «deviens qui tu es» fait certes florès dans les manuels de développement personnel; elle exprime pourtant une vérité profonde. Nouveau-né, je suis un citoyen en puissance. Il appartient à mes parents, puis à moi-même, d’actualiser cette nature en m’impliquant progressivement dans la Cité. Animaux politiques, notre épanouissement passe par celui de la communauté à laquelle nous ne pouvons échapper. Sans communauté, l’être humain ne s’actualise qu’imparfaitement.
Alors que le temps de retourner au chalet pour le repas du soir approche, nous projetons le prisme de la puissance et de l’acte sur la notion de communauté elle-même. Affirmant la réalité d’une communauté vaudoise en acte, nous décrivons le Pays de Vaud d’aujourd’hui: ses frontières, son histoire, ses institutions, sa population, sa place dans l’alliance fédérale. Une part importante de nos combats en découle. La lutte pour le fédéralisme y tient naturellement le haut du pavé. Notre engagement pour la neutralité de la Suisse (lisez le CRV 159: Neutre, la Suisse à l’ère de la guerre hybride), contre l’adhésion à l’Union européenne ou à tout mécanisme international de droit évolutif prolonge ce combat pour les souverainetés cantonales.
Les jeunes participants du camp de Valeyres sont souvent soucieux de retrouver les catégories politiques qu’ils ont découvertes sur les réseaux sociaux ou dans des vidéos, généralement françaises. Schématiquement, nous leur dirions que c’est ici le pan «souverainiste» de notre action.
Mais des institutions ne recouvrant plus aucune réalité organique sont stériles.
Notre action doit également comprendre un volet identitaire. C’est ici la promotion de la communauté vaudoise en puissance. Il faut permettre à sa population de partager des mœurs et une culture communes. Elles seront ce cadre invisible qui structure nos vies avec plus de force qu’un code pénal, et donnent à la communauté sa nécessaire unité morale. Il s’agit des subtiles inclinations du quotidien, de manières de communiquer et de se comprendre. C’est un rapport au travail et au devoir, un sens des hiérarchies, des relations personnelles et de l’amitié.
Elles doivent être défendues, autant contre l’aliénation que constitue la culture américano-asiatique que dévorent les jeunes générations, que contre les dangers dissolvants du multiculturalisme. Mais elles doivent surtout être promues et transmises. Cela est certes compliqué, tant elles sont difficiles à décrire. Sans compter qu’il est plus aisé de détruire que de construire, voire de se morfondre de leur disparition.
La défense et l’accroissement de l’identité vaudoise passent par l’engagement personnel au sein de structures déjà existantes, comme par la création de communautés nouvelles. Ordonnées au bien commun du Canton et à son unité, elles s’institutionnaliseront et acquerront une force propre. Elles dépasseront leurs membres fondateurs, tout en perpétuant leur action. La Ligue vaudoise avec La Nation et les Cahiers, après bientôt cent ans d’existence, compte au nombre de ces institutions qui défendent la communauté en acte, et font croître la communauté en puissance.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Bêtise – Jacques Perrin
- Alexandre Denéréaz (1875-1947) – Jean-François Cavin
- Pauvreté: une nouvelle dimension – Jean-Hugues Busslinger
- La Mi-été – Jean-François Cavin
- Tennis en juillet – Julien Le Fort
- Le Conseil synodal, la Cathédrale et le Festival de la Cité – Olivier Delacrétaz
- Le jardin que nous avons à cultiver – Félicien Monnier
- Nos sportifs – Jean-François Cavin
- Quand la force devient violence – Jacques Perrin
- On nous écrit – On nous écrit, Rédaction
- Pluie, arcs-en-ciel et domaines fédérés – Le Coin du Ronchon