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La laïcité fait de nouveau des vagues au bout du lac

Benoît de Mestral
La Nation n° 2240 17 novembre 2023

Genève est dotée depuis peu d’une loi sur la laïcité de l’Etat, soumise au référendum et validée par le peuple (à 55%). Elle a fait l’objet de plusieurs recours au Tribunal cantonal de Genève, qui a annulé une disposition interdisant aux agents de l’Etat de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou autres signes extérieurs. Puis au Tribunal fédéral, qui a annulé une autre disposition prévoyant que soumettre à autorisation des manifestations cultuelles dans le domaine public devait être l’exception et non la règle.

Suite à ce laborieux processus législatif, la loi nouvelle et corrigée fut mise en application. En résultèrent l’interdiction des baptêmes lacustres, mais également, quatre jours avant la date, des processions de la Fête-Dieu en 2022. Voici quelques extraits de l’argumentation du Département de la sécurité, de la population, et de la santé:

« [L]a procession consistant en l’exposition du sang et du corps du Christ, même de manière symbolique, se caractérisait par un caractère ouvertement ostentatoire portant atteinte de manière particulièrement grave à la liberté et aux droits d’autrui (manque un élément de coordination) à la neutralité cultuelle du domaine public. La procession était destinée à confronter autrui à un culte sans considération pour sa liberté et son droit à une conviction religieuse autre ou une absence de conviction. […] Le sentiment religieux ou de l’intimité de la croyance des tiers était d’autant plus à protéger dans le cas d’espèce que les processions présentaient une violence symbolique particulièrement ostentatoire et agressive. La manifestation cultuelle, qui ne véhiculait pas d’information à autrui, n’avait pas besoin de l’espace public et ne bénéficiait pas de la protection constitutionnelle en l’absence d’une nécessité particulière. […] La procession était un rite particulier qui consistait en une manifestation ostentatoire d’un homme qui, par sa théâtralisation, se donnait en spectacle, lequel ne pouvait être perçu par autrui que comme une démonstration sans nécessité et de force agressive.»

Cette argumentation, qui vise à l’accomplissement de la neutralité religieuse par l’interdiction de toute existence visible de la religion, est contraire à la fois à la laïcité «ouverte» voulue par la Constitution genevoise et à la protection accordée à la liberté de croyance par la même Constitution, ainsi que par la Constitution fédérale et diverses conventions internationales. Le Tribunal cantonal l’a fort heureusement désavouée et a annulé la décision du Département (pour l’une des processions seulement).

Il est toutefois étrange et regrettable que l’arrêt ne mentionne pas une seule fois la garantie de la liberté de croyance offerte par la Constitution genevoise et que toute la réflexion soit construite sur le droit fédéral et international. Il est plus regrettable encore que le Conseil d’Etat ait cru bon de recourir au Tribunal fédéral contre cette décision, selon lui une «atteinte qualifiée à la puissance publique du Canton». Ce recours a été déclaré irrecevable le mois dernier, avec raison: il n’appartient pas au Tribunal fédéral de régler les querelles entre les différents pouvoirs au sein d’un Canton. Voir tant l’exécutif que le judiciaire ignorer les outils propres à leur république et se tourner immédiatement vers le droit et les institutions fédérales à la recherche de solutions devrait inquiéter sérieusement nos voisins.

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