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La technologie aux dépens du stratège

Edouard Hediger
La Nation n° 2240 17 novembre 2023

Dans La Nation No 2225, nous exposions la difficulté pour le stratège militaire d’organiser les effets au niveau tactique au bénéfice de la volonté du chef politique, parce qu’ils ont tendance à suivre leur propre logique. L’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier en est encore une fois un révélateur.

En effet, depuis l’évacuation de la bande de Gaza en 2005, la sécurité d’Israël dans la région reposait sur un mur en béton isolant le territoire palestinien, complété par un système de surveillance basé sur des capteurs et des systèmes de tir télécommandés. L’armée israélienne passait régulièrement y «tondre le gazon», selon l’expression consacrée là-bas. Comprenez par-là quelques opérations militaires d’ampleur limitées.

Cette solution technologique devait fournir le préavis nécessaire en retardant assez longtemps l’adversaire pour permettre d’organiser une réaction militaire. Elle avait l’avantage de réduire la nécessité de poster des garnisons aux abords de Gaza et, sur le plan politique, donnait l’illusion d’une solution définitive au problème du Hamas.

Cette barrière s’est pourtant révélée absolument inefficace contre l’attaque du 7 octobre. Les Israéliens ont semble-t-il oublié, comme beaucoup d’autres avant eux, que l’adversaire vit, s’adapte, apprend. Sa réalité politique et stratégique ne peut pas être étouffée par une solution technico-tactique passive.

La menace est généralement définie comme la multiplication des capacités par une intention. La surveillance technique peut fournir des informations factuelles sur les capacités, mais rarement sur les intentions cachées dans la tête des décideurs. Pour contourner la technologie de surveillance israélienne, les combattants du Hamas ont fait le choix de l’asymétrie et se sont imposé une discipline stricte de réduction de leur empreinte technologique, renonçant à l’utilisation des réseaux pour que leurs intentions restent invisibles. C’est là que le renseignement humain (HUMINT) aurait dû compléter le dispositif technologique. En quittant Gaza définitivement en 2005, Israël s’est pourtant privé d’une grande partie de ces sources sur place. Le résultat en a été une cécité totale au niveau tactique le matin de l’attaque et une surprise opérative complète.

Chaque avantage devient un jour une vulnérabilité critique si l’adversaire s’y adapte et le contourne. La technologie ne vous dispense pas d’avoir des soldats armés pour rencontrer et vaincre les soldats armés de l’adversaire. Dans la dialectique des volontés qu’est la guerre, la technologie permet rarement d’imposer la sienne à l’autre sans recours à la contrainte physique. Entre 2005 et 2023, le Hamas s’est fortement militarisé par la professionnalisation de ses combattants, l’acquisition d’armements modernes et le développement de capacités offensives et défensives nouvelles. Ces capacités ont rendu peu efficaces les actions a? distance et l’approche technologique et ont imposé la recherche d’une décision en combat rapproche? à laquelle Israël est aujourd’hui condamné alors que le mur devait l’en préserver.

Au-delà d’Israël, la confiance excessive dans la technologie est un défaut majeur des armées étatiques modernes. En remplaçant les humains par des systèmes, le stratège se prive d’outils essentiels à la compréhension des rapports de force. Il se plaît à croire que l’automatisation le préserve de devoir un jour engager des hommes et de les perdre. La technologie ne dispense pas de trouver une solution politique à un problème politique et ne met pas à l’abri d’une mauvaise interprétation et donc d’une mauvaise orientation stratégique.

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