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Découvrir Alain Rochat

Daniel Laufer
La Nation n° 2244 12 janvier 2024

Le hasard a voulu que j’aie sous les yeux, dans le même temps, les Poètes-Misère, un choix de poèmes inconnus de poètes ignorés des XVIIIe et XIXe siècles, qu’a réunis, non sans finesse, un certain Alphonse Séché, et plusieurs recueils de poèmes d’Alain Rochat, le récent récipiendaire du Grand Prix de poésie Pierrette Micheloud. Je lis sous la plume de Séché: L’âme du public est étrangement semblable à l’âme féminine qui va d’instinct vers la beauté, vers la jeunesse, vers la force et tout ce qui s’impose et domine: elle va vers ceux qui réussissent. […] A peine le malheureux qui tombe en route avant d’avoir atteint le but, verra-t-il quelques mains amies se tendre vers lui. Et l’on se demande comment a pu rester ignorée cette belle strophe de Malfilâtre, mort dans la misère à 35 ans en 1767, cette belle strophe de Narcisse:

Un ruisseau pur, dont le brillant cristal

Suit lentement une pente insensible

Coule sans bruit, et va, d’un cours égal

Porter la vie à l’herbe languissante,

Nourrir les fleurs, nourrir l’ombre naissante

Des saules verts qui bordent son canal.

Eh bien, nous avons changé tout cela! Notre poésie s’est s’affranchie des rythmes et des rimes. Les Editions Empreintes, créées en 1984 par François Rossel, se moquent bien de ceux qui réussissent, publiant plus de deux cents titres signés de la plume de près de nonante auteurs – dont les recueils sont d’une incomparable qualité d’impression – sans se soucier de l’accueil du grand public. Il faut lire la poésie d’aujourd’hui non seulement avec un autre œil, mais aussi avec une autre oreille, tant il est souvent difficile d’y discerner rythmes ou rimes. Ainsi l’œuvre déjà importante d’Alain Rochat, qui est aussi depuis longtemps le patron bénévole d’Empreintes, se distingue-t-elle par un souffle, une écriture très élaborée qui ne facilitent pas la lecture… au contraire de notre malheureux Malfilâtre! Les titres même sont énigmatiques: Mon visage nébuleuse (1984), Un peu d’eau qui nous sépare (1987), Fuir pour être celui qui ne fuit pas (1992 – Prix de poésie C.F. Ramuz, réédité en 1998), Désert entre ces murs (1993), Litanies des villes meurtries (1998), Orients (2000), Rivières, Tracteurs et autres poèmes (2019), enfin Rhizomes (à paraître). On peut se demander ce qu’est la poésie aujourd’hui, ce qu’elle représente pour le poète du vingt-et-unième siècle, pour Alain Rochat. Il répond donc devant l’assemblée du Cercle Littéraire: «Le poème est une manière pour moi de ne pas me laisser engloutir par la profusion du réel, auquel je suis exagérément sensible.» Voilà une belle profession de foi! Nous aussi, sensibles à cette profusion, nous lui sommes reconnaissants de nous entraîner dans l’exercice difficile de gagner un espace irréel.

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