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Occident express 122

David Laufer
La Nation n° 2252 3 mai 2024

C’est toujours la même histoire que je raconte depuis des années. La même rencontre, la même anecdote, dont je souris en moi-même après coup, la même démonstration d’une réalité qui ne cesse de m’étonner, même au bout de plus de vingt années en Serbie. Ce matin, la scène se déroulait à l’état civil de mon arrondissement à Belgrade. J’étais venu pour récupérer un certificat original, une tâche que je repousse depuis plusieurs jours. J’imaginais déjà la longue attente, mon incompréhension entre des ordres contradictoires reçus derrière des guichets incommodes, le ping-pong d’un bureau à l’autre, les tampons, les factures, bref, l’administration serbe. Or ce matin, entre le moment où je suis rentré dans le bureau et le moment où j’en suis sorti avec ma copie en main, moins de cinq minutes se sont écoulées. Le fonctionnaire qui m’a reçu était d’humeur massacrante. Pourtant, comme je l’observe souvent dans mes interactions avec l’officialité balkanique, la vue de ce Suisse égaré en ces terres lointaines l’a fait changer d’expression. Lorsque je lui ai demandé comment ça allait, il a hésité deux secondes, puis il m’a répondu d’une voix lasse: «Bah, au fond, ça va pas si mal.» Ayant lu le détail de ma requête sur un formulaire que j’avais rempli du mieux que je pouvais en cyrillique, il s’est lancé dans un exposé juridique à la décharge de son pays et à l’honneur du mien. Une fois de plus la Suisse est l’étalon-or, ce pays dont les habitants semblent avoir tout compris et tout résolu, et qui en plus ne le prouvent pas en balançant des bombes et des sanctions à tour de bras. Que diable étais-je venu faire dans cette galère? «Et regardez-moi notre administration, notre façon de voter des lois idiotes, comment voulez-vous qu’un tel foutoir puisse fonctionner ? En Suisse, c’est net, et c’est définitif. Ici, en Serbie, c’est le cirque ! Allez, prenez votre original, je ne vous fais pas payer la taxe, après tout c’est vendredi, passez un excellent week-end et à une autre fois.» Comment ne pas s’attacher à un tel peuple. J’ai conscience que mon statut d’étranger, et surtout mon statut de Suisse, m’offre certains privilèges que le Serbe de la rue ne connaît pas. Pourquoi m’en priverais-je?

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