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Deux initiatives électoralistes sur les coûts de la santé

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2253 17 mai 2024

Le parti socialiste et le PDC-Le Centre ont chacun lancé, en pleine campagne pour les dernières élections fédérales, une initiative traitant des coûts de la santé. Nous voterons sur elles le 9 juin prochain.

L’initiative socialiste

Sur le modèle vaudois actuel, l’initiative socialiste vise à limiter dans toute la Suisse les primes d’assurance maladie à 10% du revenu. Le reste des coûts de la santé serait à la charge du ménage ordinaire de la Confédération à raison de deux-tiers, et des Cantons pour un tiers. Son adoption ferait basculer le financement des coûts de la santé principalement sur la Confédération.

Comme avec l’initiative sur la treizième rente, l’initiative socialiste ne prévoit pas le financement des dépenses qu’elle engendrera. Cette position est irresponsable et permet aux initiants de dissimuler que leur mesure sociale à un coût. La semaine dernière sur Infrarouge, poussés à se déterminer, les partisans du texte ont osé proposer de couper dans le budget nouvellement augmenté de l’armée. Chez les verts et les socialistes, l’ombre du GSsA plane encore.

Plus vraisemblablement, l’absorption des nouvelles dépenses passera par des augmentations d’impôts, très probablement de la TVA voire de l’impôt fédéral direct. Or cette augmentation de la TVA ne sera pas indolore, en particulier pour les personnes non éligibles aux futures subventions mais dont la situation financière est tout de même fragile. Nous pensons à cette «classe moyenne» qui se paupérise d’année en année.

L’initiative met le financement des subventions à la charge de la Confédération. Les coûts de la santé se trouveraient alors en concurrence avec les autres dépenses fédérales. Les initiants espèrent contraindre les Chambres à enfin faire pression sur les prestataires pour qu’ils maîtrisent les coûts, de la pharma aux hôpitaux en passant par les assurances. Comme si cette question n’obsédait pas notre classe politique depuis quinze ans.

C’est oublier qu’une grande partie des coûts de la santé est actuellement en mains cantonales, au premier chef desquels la planification hospitalière. Cette attribution d’une nouvelle responsabilité financière à Berne aspirera immanquablement dans son sillage des compétences politiques.

En outre, l’expérience vaudoise qui voit le Canton subventionner les plus nécessiteux n’est pas la plus concluante en termes de maîtrise simultanée des coûts; bien qu’une prise de conscience se fasse jour1.

L’initiative aggrave la confusion entre financement par l’assurance et financement par l’impôt.

Il s’agit encore d’un pas supplémentaire vers une étatisation de la médecine. Avec ces initiatives, les coûts continueront de croître, à tout le moins dans le moyen terme, qui est le temps parlementaire fédéral. Il sera trop facile dans quelques années d’en appeler à encore plus de subventions. De 10% du revenu, nous passerons à 7%, puis à 5. Et, enfin, à 0%. Les coûts de la santé seront définitivement dépendants de l’impôt et de l’Etat, avec les atteintes à la liberté du patient et des praticiens que cela présupposera. Sans même évoquer les indicibles et coûteuses lourdeurs inhérentes à tout système de santé étatisé. Toute proposition qui ne s’attaque pas à la hausse des coûts mais à leur seul financement ne peut être que trompeuse.

L’initiative centriste

Limiter ces coûts est donc l’objectif que poursuit Le Centre avec sa propre initiative «pour un frein aux coûts». S’inspirant du mécanisme du frein à l’endettement, il veut contraindre la Confédération à instituer des mécanismes pour faire évoluer les coûts de la santé proportionnellement au niveau de vie.

Dans son viseur, le parti orange aligne les «fournisseurs de prestation». Il prétend donner à l’Etat les moyens de «responsabiliser» médecins, assurances, pharmas et hôpitaux, accusés de se servir sans vergogne dans les milliards dévolus à la santé. Des mesures simples suffiraient à atteindre 6 milliards d’économie par an. Le Centre cite comme exemple le basculement de l’hospitalier sur l’ambulatoire, le contrôle du prix des médicaments, la lutte contre la surthérapie et la surmédicalisation.

Cette initiative a le mérite de vouloir directement s’en prendre à la hausse des coûts. Mais elle risque d’être contreproductive.

Elle ajoutera une couche de complexité administrative et gestionnaire à une politique de la santé déjà bientôt illisible. Il faudra consulter, rendre des expertises et des rapports, se coordonner avec les cantons et les prestataires, surveiller, parfois décider, et beaucoup «monitorer», – le terme comme la pratique sont à la mode. Or la complexité d’un système de financement de la santé n’est pas sans effets pervers. Beaucoup cherchent à maîtriser la hausse des coûts par un accroissement des contrôles, à tous les échelons. La conséquence concrète en sera une augmentation de la charge administrative pour les médecins et les hôpitaux.

Ce gonflement a lui aussi un coût, non seulement financier, mais surtout en temps et en énergie. La croissance continuelle du temps consacré aux tâches administratives par les médecins de premier recours (généralistes, pédiatres), accentue la pénurie qui frappe déjà ces professions. Les paysans ne sont pas les seuls à souffrir de l’idéologie du formulaire.

Accès aux soins et décentralisation

La lecture du texte de l’initiative donne bien sa perspective. Elle est macro-économique par sa volonté de coller au coût de la vie, et gestionnaire par sa tendance à «régler avec les partenaires» «la prise en charge des coûts». En arrière-fond, son application sera policière.

Nous préconisons une approche plus proprement politique, centrée sur la densité des relations interpersonnelles au sein de la communauté. Les victimes de la hausse des primes, par le mécanisme de la franchise, prennent souvent le risque de renoncer à l’accès aux soins. Forcé par des contraintes économiques, ce choix n’est souvent pas entièrement libre. Echappant aux mesures de prévention et de dépistage ces personnes peuvent rapidement se trouver en mauvaise santé, parfois de manière irrémédiable. Sans généraliste, ces personnes tendront à surcharger les services d’urgences, eux-mêmes prompts, par prudence, à sombrer dans la surinvestigation. L’effet en est une augmentation des coûts et d’un retard croissant dans la prise en charge effective des patients. Aucune des deux initiatives ne répond à cette problématique qui est à la fois sociale et politique.

La première mesure de lutte ne saurait donc être d’augmenter le contrôle étatique, mais de densifier les réseaux de soin locaux pour augmenter l’accès à la santé. Cela exige une vision à long terme: les coûts d’aujourd’hui sont les économies de demain. Dans une telle perspective, les mesures fédérales de contrôle que propose le Centre ne seront que contre-productives. Elles approfondiront le sentiment de dépossession que subissent les médecins de premiers recours eux-mêmes, empêchés de faire leur métier au plus proche de la population, tant les exigences du Département cantonal, des assurances, de l’OFSP, ou de Swissmedic iront croissant.

Emprunter ce chemin implique de renoncer aux préjugés qui caractérisent la médecine contemporaine: hypertechnologisation du diagnostic et digitalisation de la relation interpersonnelle. Ces biais sont trop souvent mis en œuvre au détriment de la connaissance par le médecin de tout ce qui, en plus de son corps, fait la personne humaine: ses relations familiales, son histoire personnelle, son statut professionnel…

Resserrer ce maillage doit passer par une augmentation de la marge de manœuvre des communes et des cantons. Cela présuppose un recentrement sur la figure du médecin généraliste. Il passera par l’augmentation sensible de sa rémunération à l’ouverture de son accessibilité – pourquoi pas hors franchise? – au travers d’initiatives cantonales, voire communales. On ne s’épargnera pas une réflexion sur la rémunération des spécialistes. Non par jalousie, mais pour dissuader certains plans de carrière motivés par la seule rémunération. Comment éviter, en particulier, que certains plans de carrière ne soient motivés que par la rémunération? Dans un tel contexte, octroyer de nouvelles compétences à Berne ne peut être que délétère.

Cela sera moins spectaculaire qu’une initiative coup de menton lancée dans l’effervescence des élections fédérales. Mais sans doute plus efficace. Nous voterons 2X NON aux initiatives sur les coûts de la santé.

Notes:

1      Olivier Klunge, «Charité bien ordonnée», La Nation n° 2243 du 29 décembre 2023.

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