Définir la souveraineté monétaire
La souveraineté d’un Etat s’incarne dans différents secteurs. Penchons-nous sur son aspect monétaire. Il existe trois critères simples permettant de tracer un continuum croissant de la souveraineté monétaire des Etats1.
Le premier est le droit exclusif d’émettre sa devise. Autrement dit, de battre soi-même sa monnaie et d’être le seul à le faire. La Suisse remplit cette condition, comme de nombreux Etats de la planète. En revanche, les Cantons, les Etats membres de la zone euro ou l’Equateur qui utilise le dollar américain n’émettent pas leur devise et se situent ainsi au plus bas sur l’échelle de la souveraineté monétaire.
Le deuxième est le fait, pour l’Etat, de ne pas promettre de convertir sa monnaie en quelque chose dont il pourrait manquer. Concrètement, cela revient à ne pas s’attacher à l’étalon-or (ou à d’autres métaux) et à ne pas promettre la convertibilité de sa monnaie dans une autre devise à un taux fixe. Maintenir ces parités oblige la banque centrale à prendre différentes mesures suivant les situations. Ce critère n’était pas rempli dans le système de Bretton-Woods, actif entre 1944 et 1971, qui fixait la parité des monnaies par rapport au dollar et entre le dollar et l’or. Ou encore au sein du Serpent monétaire européen qui précéda la création de l’Euro. Pour la Suisse, la dernière limite sur les taux de change fut le taux plancher avec l’Euro entre 2011 et 2015.
Le troisième est le fait, pour un Etat, de ne pas emprunter dans une autre devise que la sienne. Nous parlons bien de savoir si la dette est libellée en monnaie nationale ou étrangère, et non si elle est détenue par des investisseurs nationaux ou étrangers. Ceci permet de ne pas avoir à obtenir une autre devise pour pouvoir rembourser sa dette. Le Japon ou les Etats-Unis remplissent parfaitement ce critère, ce qui n’est pas le cas de plusieurs pays du Tiers monde ou du Sud global, qui ont notamment suivi les conseils du FMI. La statistique ne se trouve pas aisément pour la Suisse (ce qui n’est pas forcément bon signe pour la prise en compte de cet élément). Toutefois, on peut s’attendre à ce que les investisseurs suisses réalisent leurs investissements en francs suisses. Reste les 19% de dettes détenus par des investisseurs étrangers2. La réputation du franc pourrait laisser espérer que même cette dette ne soit pas, en totalité du moins, empruntée dans une autre devise. La Suisse se placerait ainsi avec les pays disposant d’une grande souveraineté monétaire.
En montant dans le continuum, les Etats ne subissent plus les mêmes contraintes. En bas, les Etats ne sont que des utilisateurs de la monnaie, comme les ménages ou les entreprises. En haut, on trouve des émetteurs de monnaie. Nous ne détaillerons pas les conséquences de la souveraineté monétaire, mais cela augmente évidemment la liberté d’action des politiques économiques, monétaires et budgétaires. La question du déficit budgétaire et de la dette change fondamentalement entre les deux bouts du continuum3.
Notes:
1 Nous suivrons ici les travaux de Stephanie Kelton et de la théorie moderne de la monnaie (ou néochartalisme).
2 Chiffres de 2023: https://www.efd.admin.ch/efd/fr/home/finanzpolitik/bundesschulden.html
3 Pour plus de développements, voir S. Kelton, Le mythe du déficit. La Théorie moderne de la monnaie et la naissance de l’économie du peuple, Les Liens qui libèrent, 2021 [2020], 368 p. Relevons que l’ouvrage est destiné à un large public et non seulement aux économistes.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Deux initiatives électoralistes sur les coûts de la santé – Editorial, Félicien Monnier
- Gustave Doret par Antonin Scherrer – Frédéric Monnier
- Friedrich Gulda, sublime et farceur – Jean-François Cavin
- Multiples dépossessions – Lionel Hort
- L’inefficace initiative antivax – Olivier Delacrétaz
- Occident express 123 – David Laufer
- Au-delà de la république des juges – Olivier Klunge
- Des pommes, des poires et des places d’apprentissage – Le Coin du Ronchon