Double soumission
Dans le dernier numéro de la revue Réformés, M. Philippe Leuba, membre du Conseil synodal, reprend le premier verset du chapitre 13 de l’épître aux Romains: Que toute personne soit soumise aux autorités placées au-dessus de nous ; car il n'y a pas d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par Dieu. A sa manière habituelle, l’ancien conseiller d’Etat prend soin de ne pas arrondir les angles: il faut recevoir le texte comme il est donné. La Bible peut certes être interprétée, mais on ne peut pas lui faire dire n’importe quoi: les Ecritures ne sont pas une auberge espagnole.
Dans notre monde de droits individuels, cette affirmation, posée absolument et sans nuances, a de quoi scandaliser. Et c’est d’autant plus le cas, note M. Leuba, que l’autorité, à l’époque, c’était l’occupant romain.
La soumission aux autorités doit-elle vraiment être inconditionnelle? N’existe-t-il pas des critères qui, selon les circonstances, autorisent, voire imposent la désobéissance? Faut-il vraiment se soumettre à un pouvoir faible, corrompu ou dictatorial qui fait durablement le malheur de son peuple? Les chrétiens syriens, par exemple, devaient-ils, jusqu’il y a peu, être soumis au président Assad?
La question se durcit encore quand l’autorité politique vise aveuglément, et sans se préoccuper du bien commun, l’impossible mise en œuvre d’une idéologie totalitaire. Oui, faut-il aussi se soumettre à Staline ou à Hitler? Et surtout, le faire non par peur, mais par principe, comme Paul semble le demander?
M. Leuba annonce d’emblée qu’on ne peut répondre à ces questions complexes dans le cadre des 1500 signes de son article. On ne le peut pas beaucoup plus dans les 4500 signes accordés ici par le rédacteur en chef, juste rappeler avec prudence quelques éléments de réponse.
Tant qu’un pouvoir politique, si critiquable soit-il, assure un minimum de sécurité et protège la population des bouleversement meurtriers de la guerre civile, la pire de toutes, il vaut mieux lui rester soumis. D’expérience, toute révolution violente réduit les droits existants, conduit à plus d’insécurité quotidienne, de proscriptions, de confiscations, d’arrestations, d’interrogatoires musclés et de procès arbitraires, et remplit tout autant les prisons et les cimetières. La crainte qu’une insurrection ne contribue à cette dégradation générale peut expliquer la soumission de citoyens honnêtes à une autorité cruelle et méprisable.
Et si, jugeant que la coupe est pleine, un groupe de rebelles passe outre à cette crainte, il doit être conscient qu’il sort du cadre des institutions et du droit. Il retourne, pourrait-on dire, à l’état sauvage et prend sur lui la responsabilité de tout ce qui s’ensuivra, dommages collatéraux inclus. Et l’histoire le jugera non selon ses intentions, mais en fonction de sa réussite – le rétablissement de l’autorité – ou de son échec – l’accroissement du chaos.
Notons que Paul parle d’autorités instituées. Cette notion suppose un minimum d’ordre et de stabilité étatique. Quand deux factions emmenées par deux chefs de guerre se disputent le pouvoir, chacune se revendiquant comme légitime et persécutant l’autre, peut-on parler d’autorité instituée?
L’apôtre Pierre dit qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes1. Faut-il considérer ce verset, rédigé ultérieurement, comme une pondération de la formule de Paul? Les deux versets seraient alors les deux extrémités entre lesquelles le chrétien déplacerait librement son curseur politique? Cette interprétation aplatit complètement la portée de l’un et l’autre textes. Autant dire: faites ce qui vous semble bon !
Nous croyons au contraire qu’il faut se soumettre aussi intégralement que possible à l’une et à l’autre exigences. L’obéissance à Dieu est sans doute première, mais elle ne libère pas de l’obéissance à l’autorité. Elle ne crée aucun «droit à la désobéissance civile». Si l’obéissance à Dieu trouble l’ordre social ou affaiblit l’autorité, il est juste que le chrétien se soumette également, et dans le même mouvement, à la sanction que celle-ci prendra. Les deux exigences seront ainsi réconciliées, et la peine librement acceptée témoignera de la valeur du motif qui a conduit à l’insoumission. C’est alors que le témoin devient martyr.
Notes:
1 Actes 5:29.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Les gargouilles ne sont pas républicaines – Editorial, Félicien Monnier
- Droit international: attention! – Jean-François Cavin
- L’amour des lois règne-t-il aussi dans les caravanes? – Lionel Hort
- Esdras et Néhémie sont de retour – On nous écrit, André Durussel
- Lavaux de A à V – Jean-François Cavin
- Le fédéralisme menacé par le droit international – Xavier Panchaud
- Occident express 130 – David Laufer
- Un démocrate – Jacques Perrin
- Notre patrimoine bâti – Benjamin Ansermet
- Le Canton contre la cancel culture – Le Coin du Ronchon