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Les gargouilles ne sont pas républicaines

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2268 13 décembre 2024

Le soir qui vit la chute du gouvernement Barnier, nous parlâmes aux Entretiens du mercredi de démocratie. «Un amour impossible?» s’interrogeait notre invité Enzo Santacroce, philosophe libéral vaudois.

Quelques heures plus tôt, j’avais distraitement suivi en direct les envolées de Mme Le Pen, ou de MM. Coquerel et Wauquiez à la Chambre.

Au premier rang, Michel Barnier, flegmatique, semblait se résigner aux conséquences du jeu institutionnel comme si, précisément, il ne s’agissait que d’un jeu sans portée. Car derrière les grandes et belles formules en appelant à la responsabilité, ou à la censure, il était bien difficile de saisir quoi que ce soit de tangible.

Fracturée à l’extrême, l’assemblée dégage un arrière-goût de 3e République, les duels en moins. Elle a récemment atteint des sommets d’indignité lorsque l’hommage du Premier ministre à un ancien député fraîchement décédé provoqua sans qu’on sache réellement pourquoi des hurlements d’un banc à l’autre.

Dans la foulée de la censure, LFI et RN réclamèrent – avec une intensité différente – la démission du Président de la République. Derrière ces incantations comme ces huées, les ambitions électorales suintent lourdement.

Au milieu du désordre qu’il a lui-même alimenté et provoqué, Emmanuel Macron a beau jeu de présenter la présidence comme le dernier élément stable de la nation. Il n’en demeure pas moins qu’il a raison. Le général de Gaulle a conçu sa monarchie républicaine pour découpler l’agitation parlementaire des salons élyséens.

La grandiose réouverture de Notre Dame du week-end passé constitue une éclaircie dans la tempête. L’an dernier en Grande-Bretagne, le couronnement de Charles III avait suspendu les tensions de la même manière.

Cela commença par ce coup de génie où, malgré un «gouvernement réduit aux affaires courantes», M. Macron parvint en dernière minute à faire se rencontrer MM. Trump et Zelenski. C’était renouer avec la tradition médiévale de faire des consécrations de cathédrales des événements diplomatiques.

Puis samedi soir, sur l’Ile de La Cité, la pluie a porté sa propre pierre et contraint M. Macron à abandonner ses susceptibilités laïcistes pour prononcer son discours dans le chœur de l’église.

Pour les Vaudois, voir un politique s’exprimer dans une cathédrale n’a rien que de très habituel. Il faut mesurer combien cela était inattendu pour des Français d’entendre leur président affirmer: «Notre cathédrale nous dit combien le sens, la transcendance, nous aident à vivre dans ce monde. Transmettre, et espérer. Tel est le sens de ce travail, et de notre présence ce soir.».

L’aptitude de M. Macron à se contredire, ou son sens de la communication, rend ses discours lourdement suspects d’opportunisme. Il n’empêche que ces propos ont été prononcés sous les yeux d’une grande partie de l’épiscopat français, du Nonce apostolique et de nombreux monarques et chefs d’Etat; qui plus est en un lieu où l’on ne saurait s’exprimer à la légère. Entrant dans la cathédrale aux côtés de l’Archevêque, Anne Hidalgo avait des airs de première communiante.

L’absence, pourtant redoutable, de vulgarité contemporaine durant la cérémonie1, sa beauté tout comme son déroulement millimétré, marquaient un fossé avec les invectives de la dernière semaine et l’impossibilité d’adopter un budget.

Mercredi dernier, notre conférencier vantait pourtant l’aptitude de la démocratie à souder les citoyens et à favoriser leur amitié les uns pour les autres. A l’en suivre, le débat public libre, comme le processus de vote, continuerait le contrat social. La démocratie seule permettrait la communauté. Cette manière de voir occulte le rôle de ce que nous avons alors appelé le «préexistant» - préexistant à l’avènement de la démocratie moderne, comme à son activité quotidienne. C’est-à-dire les communautés stables: familles, corporations, entreprises, cités, pays et cantons…

Sous les voûtes de Notre-Dame, la démocratie ne fut pas invoquée en tant que telle, et la République de manière formelle. Le discours, que M. Macron voulait bref, se concentra sur l’esprit de corps des sapeurs-pompiers, l’habileté des compagnons et l’histoire politique de la cathédrale. Dans les circonstances actuelles, son insistance sur le passé monarchique de la France était troublante. La musique – le directeur de notre OCL en duo avec son frère – exprima les émotions. La liturgie décentra les regards vers Dieu. Tout cela préexiste historiquement au régime ou dépasse largement ce qu’il prétend offrir.

Nous répondrons donc à M. Santacroce que l’apaisement de nos mœurs politiques suisses et vaudoises ne découle pas de notre régime parlementaire. Ce dernier contient, au moins en germe, les maux que nos voisins connaissent. Seulement, les structures communautaires de nos sociétés les atténuent. Tout comme le fait qu’aucun Canton suisse n’a connu de révolution aussi sanglante et clivante que celle de 1789. La trempe pacificatrice de Dufour, puis à certains égards les institutions de 1848, permirent de ménager, pour un temps, les structures sociales de chacun des Cantons.

Mais l’ambition électorale déchire les cœurs à Berne autant qu’à Paris. C’est l’immense mérite du fédéralisme et de l’autonomie communale que de rapprocher les problèmes politiques du quotidien des citoyens. Cette proximité simplifie les difficultés et impose de les résoudre. La démocratie n’en demeure pas moins fondamentalement individualiste et égalitaire. Elle joue inéluctablement contre ces remparts communautaires. Elle désigne du même coup les lieux à préserver et investir.

Notes:

1   Nous émettrons toutefois une réserve concernant le caractère enfantin des carrés monochromes de la chape portée par l’Archevêque, qui rappelait un peu trop le logo du navigateur Google chrome.

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