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Un local d’injection à Lausanne? Dix bonnes raisons de voter «non!»

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 1812 8 juin 2007
Quand on traite en public du problème de la drogue, il est de bon ton de se couvrir la tête de cendres et de retourner trois fois sa langue dans la bouche avant de déclarer qu’«on ne veut surtout pas rallumer une guerre de religion», qu’«il faut éviter tout discours émotionnel», qu’«on doit être pragmatique» et «surtout rester humble», car – c’est bien connu – «il n’existe pas de solution miracle»… On recourt aussi volontiers à ce que Robert Hughes, dans La culture gnangnan, appelle «une sorte de Lourdes linguistique, où le mal et le malheur sont dissipés par l’immersion dans les eaux de l’euphémisme». Ainsi, on bannit du vocabulaire le terme de «toxicomane» pour le remplacer par celui d’«usager», on ne parle plus de «drogue» mais seulement de «substance» ou de «produit». On appelle «réduction des risques» le fait de faciliter la prise de drogue au motif que chaque citoyen a le droit, dans son existence, de passer par une phase de consommation, et qu’il faut bien l’aider à «survivre avec un minimum d’atteintes sur les plans physique, psychique et social afin de préserver et d’améliorer ses chances d’une sortie ultérieure». Un local d’injection devient une «structure à bas seuil» (SBS) ou une «structure local de consommation» (SLC), mais surtout pas un «shootoir», terme trivial qui porte atteinte à l’éminente dignité de l’«usager». On pense alors irrésistiblement à ce personnage de 1984 à qui Orwell fait dire: «Vous serez creux et nous vous remplirons de nous-mêmes».

Effets dévastateurs et coût social exorbitant

Le refus de s’immerger dans les eaux de l’euphémisme et de se laisser manipuler par le lobby de la drogue passe par un effort de compréhension du phénomène de la toxicomanie, de ses causes et de ses effets. La consommation de drogue, par son action sur le cerveau, altère la conscience de l’homme et sa capacité de distinguer le vrai du faux et le bien du mal sur le plan de ses responsabilités sociales. Elle ne le prive pas seulement de sa capacité de choisir; elle contribue à le détruire. La drogue est aussi source de grandes souffrances pour la famille et l’entourage du toxicomane. Elle génère violence et délinquance. De nombreux accidents de la circulation et du travail lui sont imputables. Son coût social, en Suisse, est évalué à plus de 4 milliards de francs par an.

Une politique de la drogue cohérente et responsable doit avoir pour objectif une réduction de l’offre et de la demande de stupéfiants. Elle comprend trois piliers, la prévention, la thérapie axée sur l’abstinence et la répression. Le conseiller fédéral Cotti, suivi en cela par Mme Dreifuss et M. Couchepin, a cru pouvoir en ajouter un quatrième, celui de la prétendue «réduction des risques». Ce concept d’origine anglosaxonne (harm reduction) inclut aujourd’hui la distribution massive de seringues, l’installation d’automates à seringues dans des lieux publics, sans médiation humaine, l’ouverture de locaux d’injection, ainsi que la mise à disposition de laboratoires ambulants pour le contrôle de la qualité des drogues dans les manifestations festives.

Le plus souvent, les locaux d’injection ont été ouverts sans que l’on demande leur avis aux citoyens. A Zurich, le 2 décembre 1990, le corps électoral avait certes rejeté (à une majorité de 62% des voix) la création de Fixerräume. Ceux-ci verront néanmoins le jour deux ans plus tard sous le nom de Gassenzimmer. Des avis négatifs ont aussi été délivrés dans les villes de Saint-Gall et de Lucerne, mais cette dernière vient d’accepter à une faible majorité un «projet pilote» qui coûtera 642'000 francs.

A Lausanne, c’est le 8 juillet que le corps électoral devra se prononcer sur la création d’un «bistrot social» jouxtant un local pour l’injection et l’inhalation de drogues illicites, le tout devisé à plus de 2 millions de francs. Ce «dispositif à bas seuil» serait implanté, horresco referens, dans le quartier à forte densité de population de César-Roux, à cent mètres de l’Ecole de couture de Lausanne (120 élèves) et à 300 mètres du Gymnase du Bugnon (665 adolescents).

Le prétexte invoqué par la Municipalité rose-rouge-verte est, bien sûr, la prétendue «réduction des risques»: risques de surdoses et d’infections virales pour le toxicomane, mais aussi risques découlant de l’abandon de seringues usagées, sans oublier les «incivilités» commises au centre-ville, et notamment à la Riponne.

Banalisation de la drogue et acceptation sociale facilitée

Ce projet de local d’injection doit être rejeté, et cela pour au moins dix bonnes raisons.

1. Il brouille les messages de prévention adressés aux enfants et aux adolescents. Comment les drogues peuvent- elles être si dangereuses si les pouvoirs publics mettent des locaux à disposition pour en faciliter la consommation?

2. Il porte un grave préjudice aux toxicomanes eux-mêmes en les cimentant dans leur dépendance et en les dissuadant d’effectuer un sevrage, puis de suivre un traitement de réhabilitation physique et psychique.

3. Il fragilise les institutions résidentielles visant à l’abstinence, les privant de patients et de moyens financiers. Entre 1999 et 2005, 44 d’entre elles (soit le quart de l’offre totale) ont disparu. Ce mouvement se poursuit inexorablement. La Fondation du Levant se trouve désormais dans les chiffres rouges. Comme l’enveloppe budgétaire consacrée à la lutte contre la drogue demeure globalement inchangée, toute dépense consentie en faveur du «bas seuil» l’est forcément au détriment du «seuil élevé», soit des thérapies visant à l’abstinence. Celles-ci n’ont pourtant pas démérité. Une étude a montré qu’un an après la fin de la thérapie, deux personnes sur cinq (40%) ne consommaient plus de drogue.

4. Un local d’injection ne résout pas le problème des infections virales. Les virus de l’hépatite B et C affectent autant de toxicomanes à Zurich, où l’on compte quatre locaux d’injection depuis les années 90, qu’à Lausanne, où il n’y en a pas.

5. Un local d’injection constitue aussi une fausse réponse au vrai problème des surdoses, car toute injection est à risque. On le voit bien à Genève, où l’on a enregistré 14 surdoses en 2005, soit autant que dans l’ensemble du canton de Vaud. On le voit aussi dans le canton de Zurich, où le nombre de décès dus à la drogue augmente à nouveau régulièrement depuis la fermeture du Letten en 1995, passant de 50 en 2002 à 63 en 2005. Encore faut-il préciser que cette statistique ne comprend pas les décès liés aux maladies ou par suicide.

6. Quand on sait qu’en Suisse, l’augmentation du nombre de décès dus à la drogue en 2005 (+16%) est attribuable en grande partie aux progrès de la polytoxicomanie, et notamment à la prise simultanée de drogue et d’alcool, force est de constater que le projet lausannois de «bistrot social» couplé à un local d’injection est tout simplement insensé.

7. Le projet municipal ébranle aussi le pilier de la répression. Il crée une zone de non-droit à l’intérieur et aux abords du local, puisque la police municipale y est remplacée par des agents Securitas qui ont pour consigne de ne pas «stresser» le toxicomane. Autrement dit, le «trafic de fourmis», la détention et la consommation de drogue acquièrent une légalité de fait, en violation flagrante de la loi fédérale et des conventions internationales sur les stupéfiants.

8. Du même coup, l’existence d’un local d’injection et d’inhalation constitue un puissant signal pour les dealers. Le fait est que toute mesure qui facilite la prise de drogues est perçue comme un encouragement de la demande et donc de l’offre de drogue.

9. C’est aussi une source de graves nuisances pour le voisinage. A Berne, les commerces jouxtant le local ont fermé les uns après les autres. A Genève, une pétition munie de 476 signatures vient d’être remise au Conseil d’Etat, demandant la fermeture de Quai 9 ou son déplacement en dehors de tout quartier d’habitation. Un trafic à ciel ouvert, des seringues usagées abandonnées dans la rue et les couloirs des immeubles, le va-et-vient des ambulances et l’insécurité ambiante soumettent les nerfs des habitants du quartier des Grottes et de la rue de la Servette à trop rude épreuve.

10. Enfin, il serait parfaitement illusoire de penser que la petite cohorte de marginaux fréquentant la Riponne acceptera d’être confinée à César-Roux. D’abord, parce que ces gens entretiennent un minimum de relations sociales, circulent d’un quartier à l’autre et ne vont pas aller s’enfermer toute la journée dans un local. Ensuite, parce qu’ils ne programment pas leur consommation de drogue: ils se l’injectent, la sniffent ou l’inhalent (jusqu’à vingt, voire trente fois par jour, dans le cas de la cocaïne!) aussitôt qu’ils en ressentent l’irrépressible besoin.

Puissent les Lausannois, le 8 juillet, faire comprendre à leurs autorités qu’elles ne doivent pas contribuer, par une mesure irresponsable, à la banalisation de la drogue et à son acceptation sociale facilitée. Dans l’intérêt de l’ensemble de la communauté lausannoise, marginaux compris, l’aide à la vie doit l’emporter sur une politique de prétendue «réduction des risques» qui ne contribue finalement qu’à multiplier le nombre des toxicomanes et des dealers.

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