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L’école unique, conséquence prévisible d’un principe faux

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1813 22 juin 2007
Le 21 mai dernier, le député Alain Gilliéron déposait un postulat demandant l’introduction d’une filière unique jusqu’à la fin de l’école obligatoire.

A l’époque (il y a onze ans), on pouvait lire la prévision suivante dans Une Ecole de Papier, l’argumentaire des opposants à EVM: «Il faut considérer EVM 96 comme un pas de plus en direction de l’Ecole unique jusqu’en neuvième année, point oméga (en tout cas pour le moment) auquel tendent somnambuliquement les réformateurs.» Les partisans d’EVM le niaient, refusant de voir les conséquences inévitables de l’application du principe égalitaire.

Ce principe est sans doute acceptable quand il s’agit de donner à chacun la possibilité d’emprunter la voie qui correspond le mieux à ses capacités. Mais, sous la pression des préjugés intellectualistes qui empoisonnent notre société, cette «égalité des chances» s’est muée en un droit égal pour tous d’emprunter la voie qui conduit à l’université.

Conséquence immédiate et nécessaire de cette perspective faussée, les formations manuelles, techniques et commerciales sont considérées comme des pis-aller. Ceux qui les exercent sont des citoyens sans doute estimables, mais de seconde zone. L’égalité croissante des chances d’aller à l’Université se paie donc d’une inégalité croissante entre ceux qui y vont et ceux qui n’y vont pas! Il faut aux parents beaucoup de bon sens et de force morale pour aller contre cette idée reçue et admettre que leur enfant pourra s’épanouir pleinement et même gagner correctement sa vie avec un CFC et un métier aussi bien qu’avec une licence et une profession universitaire.

L’égalité théorique des enfants se heurtant en permanence au constat de leurs inégalités réelles, les réformateurs ont résolu le problème en repoussant ce constat au-delà de la période scolaire. La disparition des examens, le refus de tout critère précis et stable d’évaluation (notes, lettres, couleurs, peu importe), la suppression de la possibilité de refaire une année, le remplacement de connaissances précises et structurées par des compétences évanescentes, autant de modifications qui permettent, sinon de supprimer les inégalités, du moins de les dissimuler. Elles réapparaîtront dans la vie avec d’autant plus de dureté.

Notre système à trois filières affirme implicitement l’existence de capacités scolaires inégales. Il est donc inacceptable. Sa suppression est programmée.

Depuis quelques temps, Mme Lyon, à la suite des réformateurs, répète à chaque occasion que les élèves les meilleurs de la voie à option sont aussi bons, voire meilleurs que les moins bons élèves de la voie diplôme, et que les meilleurs de cette dernière feraient bonne figure en voie baccalauréat. On va même jusqu’à affirmer que certains VSO font mieux que certains VSB. La répartition en trois filières est donc injuste du point de vue des élèves colloqués dans les deux voies «inférieures» et absurde du point de vue d’une organisation scolaire moderne et performante.

Après deux années environ de mise en condition, le postulat Gilliéron pouvait être lancé. Qu’il soit cosigné par le socialiste Pierre Zwahlen est emblématique. Selon ces deux députés, EVM a certes reporté la sélection d’une année, mais elle n’a pas répondu «à d’autres attentes, notamment quant à l’égalité des chances et à la répartition socioéconomique des élèves dans les trois voies». Il est clair que s’il n’y a plus qu’une seule voie, le problème de la «répartition socio-économique» disparaît! De plus, selon «plusieurs études comparatives internationales», «l’absence de filières différenciées permet à l’ensemble des élèves d’acquérir de meilleures compétences en lecture, mathématique et sciences». Ces généralités invérifiables n’ont d’autre but que de donner une apparence réfléchie et volontaire à ce qui n’est qu’une soumission dépourvue d’esprit critique à l’idéologie égalitaire.

Nous n’affirmons pas que le système à trois voies soit le seul possible, ni même qu’il soit le meilleur en valeur absolue. Les questions de structures sont importantes, mais elles sont secondes. Ce qui fait la force d’un système scolaire, c’est d’abord le fait qu’il se place dans le prolongement de l’éducation familiale. C’est ensuite qu’il tienne compte des conditions posées par les futurs employeurs, notamment en matière de connaissances de base et d’attitude à l’égard du travail. C’est enfin que ce système soit aussi stable que possible, de façon à ce que les acteurs scolaires, et en particulier les parents, soient en mesure de comprendre et de contrôler ce qui s’y passe. C’est d’ailleurs la stabilité seule qui rend possible une évolution réaliste de l’école, par l’incorporation progressive des compléments et correctifs que suggère l’expérience quotidienne des enseignants.

Notre système scolaire est faible parce qu’il évolue dans le sens inverse, qui est celui d’un désordre généralisé: réformes incessantes conçues en laboratoire et imposées de l’extérieur, mise à l’écart des parents par le changement continuel des programmes et des méthodes, obsession des formations longues, préparation des élèves à vivre dans une société non compétitive qui n’existe pas, et aujourd’hui moins que jamais.

L’école unique de M. Gilliéron accroîtra ce désordre sans engendrer la moindre égalité. Le mécontentement qui en résultera appellera de nouveaux changements, et de nouveaux désordres. Selon toute vraisemblance, cela commencera par l’introduction du gymnase pour tous, autrement dit, l’école obligatoire jusqu’à dix-huit ou dix-neuf ans, ou en d’autres termes encore, la scolarisation intégrale de l’apprentissage. Ensuite, ce sera le bac et l’université pour tous.

Ce postulat est une insanité qu’il faut combattre en tant que telle1. Mais il importe de remonter à la source: aussi longtemps que le mensonge égalitaire ne sera pas frontalement remis en question, il continuera de déployer ses effets destructeurs sur notre école et notre société.


NOTES:

1) Le 22 mai, le député radical Marcel-David Yersin déposait un autre postulat, demandant la suppression de la voie secondaire à option. Nous reviendrons sur cette idée d’une école à deux filières qui, tout en étant très éloignée dans l’esprit de celle de M. Gilliéron, lui est très proche tactiquement et pourrait bien lui servir de cheval de Troie.

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