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L’égalité aggrave les inégalités

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1818 31 août 2007
Les révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle interdirent les corporations et supprimèrent les privilèges de la noblesse comme autant de facteurs d’inégalités entre les hommes. Dans leur idée, la suppression de ces droits et avantages particuliers engendrerait une société égalitaire, à l’image d’une pièce de bois dont on rabote les aspérités afin de les égaliser. Ce fut le contraire qui arriva. Les inégalités de fortune et de statut social ne se réduisirent pas. Elles augmentèrent vertigineusement. Le serf attaché à sa terre, symbole de l’oppression médiévale, apparut soudain comme un privilégié en comparaison de l’ouvrier, dépourvu de tout statut social, congédiable à tout moment au gré du marché. Et les paysans purent constater que leurs nouveaux propriétaires, bourgeois éclairés et progressistes, étaient bien plus âpres au gain et intransigeants sur le moindre droit que ne l’étaient leurs maîtres d’autrefois.

Pour Marx, la révolution bourgeoise de 1789 ne fut qu’une étape. Sa fonction révolutionnaire fut de substituer une seule et unique valeur, l’argent, aux «valeurs» irrationnelles de la chrétienté – service de Dieu et du Roi, honneur, fidélité –, préparant ainsi le terrain pour la «lutte finale» marxiste. Vainqueur du camp bourgeois, l’Etat communiste s’attaquerait à la détention privée des moyens de production, origine de toute inégalité et de toute injustice. Et l’humanité serait alors vraiment égalitaire.

Comme on sait, la révolution communiste engendra un régime plus inégalitaire encore que la société bourgeoise.

Les deux grandes révolutions égalitaires de 1789 et 1917 n’ont donc pas seulement raté leur but, elles ont aggravé la situation à laquelle elles prétendaient remédier. Quant à la révolution gauchiste de mai 68, ses séides continuent de dénoncer, quarante ans après, les «inégalités croissantes» de la société. La règle semble établie que les inégalités sociales s’accroissent au fur et à mesure que les institutions deviennent plus égalitaires. Où est l’erreur?

L’égalité n’est pas une qualité personnelle. C’est un rapport entre deux réalités et, plus précisément, un rapport d’indifférenciation. Introduire l’égalité dans une famille, une entreprise, l’Eglise ou une communauté politique, ce n’est pas y ajouter quelque chose de nouveau, mais uniquement détruire, au nom de l’égalité entre les individus, les rapports d’autorité qui la structurent.

Au fur et à mesure que cette structure s’affaiblit, la communauté perd de sa consistance et de son unité. Ce qui la distinguait par rapport à un groupe humain quelconque s’évapore. L’égalité pleinement réalisée, la communauté disparaît. Il n’y a plus que des individus, chacun également campé sur son identité individuelle, ses droits et ses avoirs. Dans un couple intégralement égalitaire, chacun des conjoints conserverait son nom, son lieu d’origine, sa nationalité, son appartement, ses comptes et ses valises, prêt à tout instant à s’en aller vers d’autres cieux à d’autres amours.

On dira que c’est le prix à payer pour atteindre l’égalité. Cela même n’est pas exact.

Dans les faits, on constate que l’autorité n’est jamais complètement évacuée. L’autorité du père de famille, certes affaiblie par un droit de la famille égalitaire, subsiste de nos jours encore parce qu’elle est une nécessité vitale, même dans les couples les plus férus d’égalité. C’est non moins vrai pour les autres formes de communauté. Il n’est pas jusqu’aux squats les plus anarchiques où ne se rétablissent sournoisement des rapports hiérarchiques, d’autant plus absolus qu’ils ne sont jamais avoués.

De plus, si le rapport d’autorité à l’intérieur d’une communauté familiale ou politique est directement lésé par les mesures égalitaires, il n’en va pas de même des inégalités liées à la personne: hors de toute hiérarchie, les inégalités intellectuelles, artistiques et physiques, les inégalités d’intelligence, de volonté et de caractère, les inégalités morales n’en subsistent pas moins.

Dans le cadre hiérarchique de la communauté, ces inégalités personnelles sont reconnues et mises en valeur pour le bien de la communauté: le patron n’est pas un investisseur pressé de rentabiliser sa mise, mais le responsable d’une entreprise qui les fait vivre durablement, lui, sa famille et celle de ses employés; l’employé n’est pas une simple force de travail se vendant au plus offrant, mais un collaborateur jouissant d’une certaine confiance de ses supérieurs comme de ses subordonnés et pourvu d’une certaine autonomie d’action.

Combattues par le processus égalitaire, les inégalités de dons ne disparaissent pas, elles explosent dans tous les sens. L’égalitarisme ayant détruit les structures hiérarchiques qui cadraient les personnes et les reliaient les unes aux autres dans la perspective du bien commun, leurs inégalités peuvent se développer sans limites ni règles: chacun pour soi et le marché pour tous! C’est la raison du plus fort. C’est la loi de l’industriel libéral du XIXe siècle comme celle du nomenklaturiste soviétique. C’est aussi le règne du soixante-huitard enkysté dans le système pour en jouir et le détruire: M. Charles Kleiber, secrétaire d’Etat à la science et à la recherche, engage la Suisse dans le processus de Bologne en plaçant souverainement les cantons, les universités, le parlement fédéral et le peuple devant le fait accompli.

L’égalité n’existe ni dans la nature, ni au terme des révolutions, si brutales soient-elles. Le choix n’est donc pas entre l’inégalité institutionnelle et l’égalité individuelle, mais entre l’inégalité reconnue, contenue et maîtrisée qui fait que chacun a son rôle à jouer dans la communauté hiérarchisée, et l’inégalité brute, aveuglément niée et laissée à la discrétion de l’individu libéral ou de l’Etat socialiste.

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