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Lettre à M. Christoph Blocher

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1826 21 décembre 2007
Monsieur le Conseiller fédéral,

Avez-vous été un bon conseiller fédéral? Derrière la fumée et les pétarades d’une campagne de dénigrement aussi mesquine que démesurée, on distingue deux griefs politiques à votre égard. Vous n’avez fait que peu de lois, vous vous êtes même efforcé de désengager l’Etat, et vous avez constamment mis les cantons en avant, vous reposant sur eux chaque fois que c’était possible. Ne pas centraliser et ne pas augmenter le pouvoir de l’administration, cela suffit pour que les médias aient parlé d’un «bilan médiocre». A nous, cela suffit pour que nous déplorions votre départ, dommageable tant pour la Confédération que pour les Etats cantonaux qui la constituent.

Votre non-réélection, péripétie dans une longue carrière de combattant, a révélé à la population certaines tares du régime parlementaire. Elle a aussi montré la capacité de nuisance de la presse «d’information» quand celle-ci travaille unanimement et dans la durée à fabriquer l’opinion.

Vos partisans estiment que votre élimination n’était pas démocratique. C’est à la fois vrai et faux. C’est vrai si l’on examine les choses du point de vue des élections d’octobre dernier. Tant vos adversaires que votre parti avaient fait de votre personne l’objet de ces élections. Tout le monde semblait d’accord: faire triompher l’UDC, c’était voter pour votre maintien au Conseil fédéral. En ce sens, il eût été démocratique de vous réélire.

Mais il faut se rappeller que la démocratie, ce sont aussi les partis et les manoeuvres électorales. Là, tout est permis pour autant qu’on suive la procédure légale. Même le putsch de MM. Darbellay, Levrat et Leuenberger, cette magouille invraisemblable où le nom de Mme Widmer ne fut révélé aux parlementaires que le matin même, était démocratique: la procédure étant respectée, la démocratie l’était aussi! Comme est techniquement démocratique le fait qu’un grand nombre de parlementaires aux ordres aient élu à la plus haute charge de la Confédération une personne qu’ils ne connaissaient pas, manifestant – avec les cris de joie indignes qui ont suivi le vote – un niveau d’irresponsabilité jamais atteint par l’Assemblée fédérale.

Pourquoi cette campagne tous azimuts? Plus que l’irritation de certains face aux procédés publicitaires d’une UDC godillant souvent sur les limites du bon goût et de la provocation, plus que la haine primaire, viscérale et systématique que vous porte la gauche, plus que l’obsession du PDC de recouvrer un deuxième siège (que ce parti «chrétien» considère comme lui revenant de droit divin), c’est votre victoire sur l’Espace économique européen, il y a quinze ans déjà, qui a enclenché la chasse à l’homme. Le rejet de l’EEE fut un coup d’arrêt inacceptable porté à un mouvement de fond que tout le monde, même les opposants, considérait comme inéluctable. L’EEE à terre, c’était le Progrès lui-même que le peuple suisse, par votre faute sacrilège, contestait. L’Histoire, censée avancer sans heurt du morcellement féodal à l’Etat mondial, butait sur l’écueil helvétique! Beaucoup ne s’en sont pas encore remis. En 2004 encore, votre collègue Joseph Deiss parlait d’«une erreur de l’histoire»!

En pensant aux pressions extérieures économiques et politiques subies par la Suisse lors de l’affaire des fonds en déshérence et à la complaisance de la police allemande à l’égard de la commission de gestion dans l’affaire Roschacher, on doit aussi se demander s’il n’y a pas eu des interventions étrangères dans la cabale.

Votre éviction, avez-vous dit, ne marque pas votre retrait de la politique. Vous auriez affirmé (1) (conditionnel de rigueur!) qu’il vous serait «relativement simple de mener une politique d’obstruction totale». Ce n’est pas si certain. Sans parler des éventuels problèmes internes de l’UDC, dont une partie «anti-blochérienne» pourrait désirer se retirer (tout en sachant qu’elle perdrait du même coup sa principale locomotive électorale), il me semble que vous surestimez les possibilités de la démocratie directe.

Pour un démocrate moderne, la démocratie directe est une anomalie politique, un résidu de l’époque où il n’y avait ni statistiques, ni sondages, ni experts. Etrange aberration, qui fait que le citoyen est réputé compétent pour élire des personnes, même s’il ne les connaît pas, mais qu’il ne le serait pas pour se prononcer sur un projet précis, même s’il est un expert en la matière! En réalité, la démocratie directe est aujourd’hui encore parfaitement adaptée à la politique suisse, s’adressant à un bon sens populaire souvent plus sage que les fabrications idéologiques de la classe politique.

Pour autant il ne faut pas faire comme s’il y avait d’un côté un peuple sain qui incarne la vérité politique et de l’autre une officialité d’élus et de médias pourrie d’idéologie progressiste. La réalité est de part et d’autre plus complexe. Le peuple est lui aussi marqué par l’idéologie. Il est sans doute un peu plus conservateur, un peu plus réaliste que ses élus, en tout cas quand il arrive à se représenter les conséquences concrètes d’une loi, ce qui n’est pas toujours le cas. Il est heureux aussi de pouvoir exprimer occasionnellement ses sentiments à l’égard des patrons, des riches, des pollueurs, des assurances maladie, des étrangers… Mais il s’occupe d’abord de lui-même et n’aime pas être dérangé trop souvent, même pour donner son avis.

Et puis, le Suisse est prudent. Il n’agit pas en fonction de principes, mais en fonction de son sentiment de la mesure. Le «de plus en plus», indépendamment du contenu, répugne à ce bon sens dont nous parlions plus haut. Un recours trop fréquent à l’initiative et au référendum engendrerait la lassitude ou la crainte et préparerait l’acceptation par le peuple d’un durcissement des conditions de l’exercice des droits populaires.

Il ne faut pas compter sur la démocratie directe pour conduire une politique cohérente et systématique. Elle vaut principalement en ce qu’elle cadre et oriente l’activité des autorités élues. Nous disons souvent que la crainte du référendum est le commencement de la sagesse parlementaire. Mais on ne peut y recourir qu’occasionnellement.

Venons-en à l’initiative pour l’élection du Conseil fédéral par le peuple qu’on nous annonce et que vous êtes censé patronner. Une telle institution est sans doute conforme à la pente naturelle du régime démocratique. Elle trouvera d’ailleurs beaucoup de partisans jusque dans les rangs socialistes. Cela n’empêche pas que, personnalisant le pouvoir à la manière française, elle est contraire au fédéralisme, lequel demande un pouvoir fédéral discret et même légèrement anonyme. Nous nous opposerions donc à cette initiative si elle devait être lancée.

En revanche, chaque fois que vous interviendrez par initiative, référendum ou autrement, pour faire respecter les souverainetés cantonales, l’indépendance fédérale ou l’autonomie des corps intermédiaires, nous nous trouverons du même côté.

Croyez, Monsieur le Conseiller fédéral, à l’assurance de notre haute considération.

 

NOTES:

1) 24 heures du 17 décembre.

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