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Arme de service et meurtriers potentiels

Nicolas de Araujo
La Nation n° 1826 21 décembre 2007
Le jeune homme qui a abattu une apprentie à Zurich avec son arme de service avait volé la munition durant son service. Il aimait les jeux vidéo guerriers; il avait bu ce soir-là. L’armée savait, mais sans plus de précisions, que le meurtrier avait déjà été condamné pour vol en 2005 et «pour avoir utilisé des explosifs» en 2006. En fait, comme le soulignent trop peu les médias, ce monsieur était un militant altermondialiste: il avait lancé un cocktail Molotov en janvier 2006 contre le siège de l’entreprise d’export OSEC à Zurich, pour protester contre le World Economic Forum de Davos (1). Avant de ranger les fusils à l’arsenal, il faudrait peut-être ranger les altermondialistes au placard.

Les passions entretenues autour du drame ne semblent guère refléter un souci de protéger la population. La Weltwoche vient de publier un article documenté montrant que les armes de service jouent un rôle statistiquement négligeable dans la criminalité en Suisse. Lors des quelque deux cents meurtres et tentatives de meurtre commis en 2006, le couteau a été le plus souvent l’arme du crime (plus d’un tiers des cas); une arme à feu a été utilisée dans deux fois moins de cas, soit 17%. Le prohibitionniste professeur Martin Killias lui-même indique que, parmi les meurtres commis en Suisse avec une arme à feu, seuls 16% le sont avec une arme d’ordonnance. Ainsi, l’arme d’ordonnance ne serait utilisée que dans 3% des meurtres et tentatives de meurtre. Le décompte séparé entrepris par l’armée confirme ces chiffres. (2)

On ne peut rester indifférent durant des années aux meurtres commis en Suisse, puis s’indigner subitement à cause d’une fraction d’entre eux. Ceux qui appellent à ranger le fusil militaire à l’arsenal après s’être tus aussi longtemps n’ont aucune crédibilité.

Cela dit, les autorités doivent sans doute examiner la situation et rassurer leurs concitoyens. Plusieurs idées ont surgi dans les milieux politiques. Le vice-président de l’UDC, Yvan Perrin, propose que la police délivre pour chaque recrue un formulaire mentionnant son aptitude ou son inaptitude à porter une arme. De tels formulaires sont déjà remplis par la police lors des acquisitions d’armes dans le civil. Le radical Didier Burkhalter et la conseillère nationale PDC lucernoise Ida Glanzmann proposent de créer un permis de port d’armes pour les militaires (3). Ces projets ont un but louable, mais ils ont deux défauts. Ils supposent un contrôle bureaucratique coûteux et à l’efficacité incertaine. De plus, ils portent en eux l’idée que les citoyens suisses ne seraient pas dignes de confiance, ce qui contredit le principe même de la milice.

La Société suisse des officiers, quant à elle, propose d’exiger un casier judiciaire vierge pour la remise d’une arme à une recrue. Dans un article publié sur son site bien connu Commentaires. com, Philippe Barraud soutient cette idée4. Il justifie son appui […] en partant d’un double constat:
– L’armée souffre d’un grave problème d’image, dû aussi bien à la conduite erratique que lui imposent les politiciens, qu’à des faits divers tragiques démesurément exploités par les médias et la gauche.
– L’armée n’a plus besoin d’effectifs pléthoriques.
Dès lors, l’armée a l’opportunité de pouvoir choisir ceux qui entreront dans ses rangs, et c’est une aubaine dont elle doit profiter. En effet, elle n’a nul besoin de s’encombrer de petits délinquants, de détraqués, d’alcooliques précoces et de tarés des jeux vidéo. Elle n’est pas là pour remplacer des parents défaillants, ni les service sociaux. L’armée suisse a besoin d’hommes bien dans leur tête, matures et dignes de confiance, autrement dit: responsables. […]

Nous ne souscrivons pas entièrement aux arguments de M. Barraud en faveur de la proposition de la Société suisse des officiers. Lui-même reconnaît que si l’armée a un problème d’image, c’est en partie à cause de certains partis pris idéologiques des médias. Il faut combattre ces a priori. M. Schmid pourrait le faire si seulement il le voulait vraiment.

De plus, l’armée suisse est composée de miliciens. C’est le devoir de chaque citoyen d’accomplir son service et de porter une arme. En réduisant encore la proportion d’hommes astreints au service, on discrédite le principe de l’obligation générale de servir. Pourtant la plupart des délits, même graves, ne semblent pas constituer un empêchement de servir, c’est-à-dire de faire la guerre.

L’examen du casier judiciaire et le permis de port d’arme sont des moyens superficiels: est-ce que la police ou l’armée, passant en revue la multitude de candidats à l’école de recrues, pourra détecter le pourcentage infime de la population qui risque de commettre des actes monstrueux avec l’arme de service (car il ne s’agit pas de passer au crible toute la population pour déceler toute tendance criminelle)? Exiger un casier judiciaire vierge ou presque écartera de l’armée de nombreux citoyens menant une vie civile peu exemplaire mais capables de faire d’honnêtes soldats. En revanche cette exigence n’empêchera pas un ou deux fous aux airs innocents de se voir confier une arme.

Certes nos dirigeants n’ont pas intérêt à adopter des mesures trop restrictives s’ils visent à long terme l’instauration d’une armée professionnelle. Celle-ci serait formée de volontaires. Or, dans un endroit sans chômage comme la Suisse, où recruter le gros des troupes sinon parmi ceux dont la société ne veut pas, les petits délinquants, ratés ou gens limités qui sont le lot des armées professionnelles dans les autres pays? Notre armée aura besoin de ces personnes si le système de milice est définitivement abandonné.

En attendant (et dans l’espoir que cette professionnalisation n’ait jamais lieu), on pourrait mieux former les officiers et sous-officiers à l’instruction de tir. Actuellement, leur formation est assez sommaire. C’est probablement à partir d’une solide expérience du maniement des armes et en voyant leurs hommes sur le terrain que les supérieurs pourront détecter les rares cas «bizarres» et, si nécessaire, réagir.

M. Barraud indique à juste titre que l’armée n’est pas là pour remplacer des parents défaillants, ni les services sociaux. S’il s’avérait que la société moderne produit un nombre croissant et anormal de personnes malades et dangereuses, les autorités devraient se demander si elles s’attachent suffisamment à préserver les moeurs de la communauté dont elles ont la charge. Et si elles ne le peuvent ou ne le veulent plus, pourra-t-on encore parler de la Confédération comme d’un être politique?

 

NOTES:

1) Cf. Catherine Cossy, «Le soldat qui a tiré sur la jeune fille avait un casier judiciaire», Le Temps, 03/12/2007.

2) Urs Paul Engeler, «Messerland Schweiz», Weltwoche, 05/12/2007.

3) Philippe Miauton, «La droite émet l’idée d’un permis de port d’armes pour les militaires», Le Temps, 04/12/2007.

4) «Casier vierge pour arme de service», Commentaires.com, 05/12/2007.

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