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Les actionnaires face aux rémunérations abusives

Jean-François Cavin
La Nation n° 1953 2 novembre 2012

Les rémunérations indécentes que s’octroient quelques dirigeants de grandes sociétés ont poussé le Schaffhousois Thomas Minder, chef d’entreprise lui-même et d’autant plus crédible, à lancer et à faire aboutir, en justicier solitaire, une initiative populaire fédérale interdisant certaines pratiques et soumettant d’autres au contrôle de l’assemblée générale des actionnaires. Sa démarche, fort pointilleuse, a néanmoins de fortes chances de triompher; elle embarrasse l’officialité, qui lui oppose un contre-projet indirect renforçant surtout les droits des actionnaires en matière de rémunération des administrateurs et de la direction. Car c’est dans ce sens que va la réponse libérale classique, récemment résumée par l’organisation faîtière Economie suisse: L’économie condamne les excès en matière de rémunération et reconnaît que des mesures s’imposent. C’est aux propriétaires des entreprises qu’il appartient de régler cette question. «Economie suisse» s’engage donc pour un renforcement équilibré et réfléchi des droits des actionnaires […], raison pour laquelle elle soutient le contre-projet élaboré par le parlement.

Mais, dans Le Temps du 2 octobre, MM. Jean-Luc Chenaux et Edgar Philippin, avocats et professeurs de droit commercial, se démarquent de cette «orthodoxie» en montrant que les actionnaires des sociétés cotées en bourse sont loin d’être sensibles par définition aux intérêts de l’entreprise conçus à long terme, à son image, à sa politique sociale, voire à son éthique. Car les actionnaires, qu’il s’agisse de spéculateurs individuels ou d’investisseurs institutionnels, sont souvent les agents d’un négoce à court terme, branché sur l’activisme boursier et orienté vers le rendement immédiat du capital. Les auteurs indiquent, à propos de cette volatilité des rapports de propriété: Aujourd’hui, l’actionnaire l’est en moyenne pour une durée de six mois, voire pour une milliseconde à l’heure des ordres éclair. Et pour ces actionnaires d’un instant ou d’une saison, la préoccupation ne tient pas tant dans la quotité de la rémunération (surtout lorsqu’elle représente des frais de gestion résiduels au regard de la performance globale), que dans le risque de voir la direction privilégier ses propres intérêts au détriment de l’investisseur. La parade a longtemps consisté à aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des investisseurs, et ce en servant une rémunération fondée largement sur les actions et options. Dans les faits, ces mécanismes d’intéressement ont suscité à la fois une augmentation des rémunérations et un raccourcissement de la durée de fonction, soit une forte pression sur la performance à court terme.

Pour les sociétés cotées en bourse au capital éparpillé en des milliers de mains (la situation est différente pour les sociétés, familiales ou autres, dont l’actionnariat est concentré), l’idée que le détenteur des titres de propriété adopte de ce fait un comportement de propriétaire sensible aux intérêts durables, matériels et moraux de son entreprise est une fiction. Il faut bien plutôt le considérer comme un bailleur de fonds, qui prend un risque certain et peut donc légitimement prétendre à sa part de profit, mais à qui il est vain, voire néfaste, de conférer trop de droits dans la conduite de l’entreprise. Même les groupes d’actionnaires à vocation éthique ne parviennent guère à instaurer une «gouvernance» de bon aloi par la voie des assemblées générales.

MM. Chenaux et Philippin suggèrent quelques pistes pour améliorer la situation. L’une pourrait consister à lier certains droits sociaux ou patrimoniaux à la durée de détention des titres. Ainsi, de grands émetteurs français tels qu’EDF, L’Oréal ou le Crédit Agricole ont redécouvert les vertus du dividende majoré conditionné à l’inscription nominative des actions depuis deux ans au moins. Une autre idée serait de créer des comités d’actionnaires qui, mieux que lors de l’assemblée générale, pourraient dialoguer avec la direction pour se forger une conviction ou procéder à des échanges de vues approfondis. (Mais feraient-ils mieux que les commissions du personnel, souvent peu efficaces si elles ne s’appuient pas sur l’armature d’un syndicat?)

Les doutes formulés, à juste titre, par MM. Chenaux et Philippin sur la capacité des actionnaires à bien régler le problème des rémunérations nourrissent utilement le débat, mais n’entraînent pas l’approbation de l’initiative Minder, sur laquelle notre journal reviendra le moment venu. Si les excès de quelques stars des affaires appellent la réprobation, ont-ils d’ailleurs de l’importance pour l’économie générale?

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