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Le temporel et le spirituel, pierre de touche du dialogue interreligieux

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2033 11 décembre 2015

Un dialogue de fond entre l’Eglise et l’islam est sans doute nécessaire. Peut-il être authentique sans une visée missionnaire franchement annoncée? Il importe en tout cas de sortir du discours, mensonger à force d'être lénifiant, répétant que nous pratiquons tous une religion du Livre, que nous confessons tous le Dieu d’Abraham – avec des nuances qui, bien entendu, nous enrichissent réciproquement – et que nous partageons tous les mêmes valeurs de paix, de tolérance et d’amour.

Une approche comparative par thèmes contraindrait les partisans du dialogue interreligieux à plus de réalisme. Nous leur suggérons même de commencer par la question des relations entre le temporel et le spirituel, autrement dit, entre le monde relatif de la création et le monde absolu du divin. Cette question est essentielle. Vue de l'extérieur, une religion se caractérise peut-être d'abord par sa façon de l'aborder.

Les grandes idéologies du XXe siècle ont montré qu'une conception fautive des relations entre le relatif du temporel et l’absolu du spirituel suffisait pour susciter les plus grands crimes et les plus grands malheurs. Le communisme athée évacuait l'absolu par la porte des églises, mais le faisait revenir par la fenêtre du matérialisme historique; le nazisme, paganisme moderne, fixait le besoin d’absolu sur la race supérieure et le parti qui la conduisait.

Faut-il séparer les deux mondes ou les fusionner? Un régime de séparation part de l'idée qu'il existe des parties du monde échappant à Dieu. C’est la position dualiste de la laïcité, qui restreint la religion au monde interne de l’individu et s'attribue à elle-même l'exclusivité de l’espace public. Dans un régime de fusion, à l'inverse, soit la divinité ne reconnaît aucune autonomie aux êtres créés, soit c’est elle qui est absorbée par le monde matériel.

Refusant la séparation aussi bien que la fusion, l'une et l'autre conduisant à la confusion, le christianisme a développé la notion de distinction. La distinction du temporel et du spirituel s’inspire directement de la distinction des deux natures du Christ, elles aussi sans fusion ni absorption. Vrai homme et vrai Dieu, seule image du Père et messager de la prière humaine, le Christ est le pont bidirectionnel entre les mondes naturel et surnaturel.

Comment pratiquer cette «distinction»? Il ne s’agit pas de distinguer une fois pour toutes quelle chose appartient à quel monde. Il s’agit de se comporter à chaque occasion dans le plein intérêt des deux mondes, de reconnaître à la fois la valeur intrinsèque de la création et l'autorité de son auteur: incarner sa réflexion tout en discernant la destination ultime de chaque chose, si contingente soit-elle. La distinction desserre, sans les supprimer, les liens entre le spirituel et le temporel. La détente qui en résulte nous permet de respirer. Elle rend l'absolu vivant et vivable dans le monde du relatif.

C’est dire que l’effort de distinction des deux domaines demande de l’imagination, qu’il n’est pas toujours récompensé et, dans tous les cas, qu’il est sans cesse à recommencer.

Pour l’islam, autant que deux lectures du Coran nous permettent d’en juger, c’est à la fois plus simple et plus compliqué. Les deux mondes y sont d'un même élan fortement séparés et fortement fusionnés. L'homme n'est pas fait à l'image d’Allah, qui est le tout autre. Mais bien que tout autre, Allah impose totalement sa volonté au monde. Son Coran règle jusque dans les plus petits détails la vie ordinaire des personnes et de la société, fusionnant énergiquement la foi, les mœurs, le droit civil et pénal, la conquête politique et la conversion des mécréants.

Cependant, malgré cette énergie fusionnelle, la synthèse n’est pas faite et l’islam balance perpétuellement entre une séparation et une fusion aussi impossibles l’une que l’autre. Ce balancement manifeste sa structure fondamentalement instable.

Il est juste de noter que le respect des règles de la vie familiale et sociale, une certaine pratique cultuelle et l'intégration à un pays éloigne, chez bon nombre de croyants musulmans, les risques explosifs de cette instabilité.

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