Aménagement fédéral du territoire: les cantons mis au pas
Les initiants, parmi lesquels on trouve le Genevois Philippe Roch et les Vaudois Philippe Biéler et Luc Recordon, proposent un texte prévoyant le partage de cette compétence entre la Confédération et les cantons en invitant expressément la Confédération à édicter des dispositions visant notamment à développer une urbanisation de qualité à l’intérieur du tissu bâti et à restreindre la construction dans le territoire non constructible. Une disposition transitoire prévoit que la surface totale de la zone à bâtir ne peut être agrandie pendant vingt ans à compter de l’acceptation de la nouvelle disposition constitutionnelle.
L’infatigable Franz Weber a luimême fait aboutir en 2008 deux initiatives qui tendent à modifier le même art. 75 de la Constitution, l’une pour «contrer la création effrénée d’implantations portant atteinte au paysage et à l’environnement», l’autre «pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires».
Une loi obsolète?
Une première loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 octobre 1974, contestée par référendum, a été rejetée en votation populaire le 13 juin 1976. Les fédéralistes lui reprochaient ses tendances centralisatrices et technocratiques.
La loi actuellement en vigueur, du 22 juin 1979, est-elle obsolète? Elle semble bien remplir son rôle mais laisse, en tant que loi-cadre, des compétences importantes aux cantons et aux communes. Même des experts internationaux mandatés par l’Office fédéral du développement territorial sont arrivés à la conclusion générale que «l’aménagement du territoire en Suisse est bon mais pas assez bon (sic!)» (1). Pourquoi changer ce qui fonctionne correctement? Le mieux est l’ennemi du bien, dit-on.
Mais le Conseil fédéral considère que la loi actuelle est insuffisante et lacunaire; il en propose une révision complète. Le rapport explicatif qui accompagne le projet de nouvelle loi fédérale sur le développement territorial affirme qu’il ne s’agit pas d’une révolution. Les quelques remarques qui suivent, fondées sur le texte proposé, ne corroborent pas les propos de l’auteur du projet.
Boîte à outils ou boîte de Pandore?
Au premier abord, la répartition actuelle des compétences semble conservée. Les cantons et les communes continuent à préparer et à adopter les plans d’affectation (plans de zones), continuent à délivrer les permis de construire et élaborent toujours des plans directeurs. Mais toute cette activité est très strictement encadrée, organisée, coordonnée et contrôlée par les services fédéraux.
Le plan directeur cantonal doit intégrer des éléments nouveaux, être plus précis et aller dans le sens des directives établies à Berne alors qu’actuellement les cantons sont relativement libres en la matière.
La Confédération est appelée à développer de façon importante ses plans sectoriels, sortes de plans directeurs fédéraux (transports, télécommunications, énergie, sport et tourisme, conception paysage suisse, etc.).
Le Projet de territoire Suisse est une planification directrice établie pour tout le territoire de la Confédération dans le cadre d’un partenariat entre les cantons, représentés par la Conférence des gouvernements cantonaux et par la Conférence suisse des directeurs des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement, la Confédération, l’Association des communes suisses et l’Union des villes suisses. Une convention doit être passée entre ces différents partenaires sous l’égide du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication dans le sein duquel se trouve l’Office fédéral du développement territorial. Ce projet, nous dit le Conseil fédéral, sera mis en consultation durant la première moitié de 2009. Si on a bien compris – mais le rapport explicatif est vague sur ce point –, ce projet de territoire suisse serait considéré comme le plan directeur fédéral général et s’imposerait à toutes les autorités helvétiques.
Le projet crée aussi des «instruments de planification dans des espaces fonctionnels», soit des planifications transversales qui s’imposent pour tous les territoires qui exigent une action commune de plusieurs collectivités. Cela concerne les aires métropolitaines et les agglomérations. Les résultats de cette planification doivent être repris par la Confédération dans sa planification relative aux domaines sectoriels touchés, ainsi que par les cantons dans leurs plans directeurs.
Un «projet d’agglomération doit être établi lorsque le développement durable d’une agglomération nécessite des solutions concertées entre le canton et les villes et communes concernées». Une entité juridique spécifique doit alors être créée. Bien entendu, là aussi, le projet d’agglomération a force obligatoire pour les autorités impliquées puisque cette planification doit être intégrée au plan directeur cantonal.
Des cantons sévèrement cadrés
Il existe déjà à l’heure actuelle, comme on l’a vu, différentes planifications directrices, tant sur les plans communal que cantonal et fédéral. En revanche, les autorités bénéficient d’une certaine souplesse. Ce ne serait plus le cas si la nouvelle loi était adoptée. Celle-ci prévoit en effet toute une série de moyens de contrôle.
Les cantons doivent fournir tous les quatre ans un rapport au Conseil fédéral sur l’évaluation et sur le développement de leur territoire. Ils doivent y exposer comment ils mettent en oeuvre les buts et les principes de la loi, comment ils gèrent leurs surfaces urbanisées et comment ils utilisent la marge d’appréciation que la loi leur reconnaît, notamment pour délimiter les milieux urbanisés et gérer les zones rurales. A cet égard, le Conseil fédéral édicte des directives et des modèles afin de garantir que les données les plus importantes soient comparables et soient développées de manière efficiente.
L’Office fédéral du développement territorial est chargé de surveiller l’application de la loi dans les cantons. L’Office veille à empêcher des évolutions indésirables ou contraires à la loi en informant les autorités, en édictant des directives, en commandant des rapports et en effectuant des contrôles. Si un canton ne garantit pas un accomplissement des tâches conforme au droit fédéral, le Conseil fédéral peut, après un avertissement, charger l’Office fédéral de leur exécution aux frais du canton. De même, les autorités fédérales peuvent réduire leurs contributions à des projets d’agglomération, dans le domaine des transports ou pour d’autres mesures qui ont un rapport étroit avec le développement territorial si, après avertissement et menace de sanction, le canton ne s’acquitte ni correctement ni dans les délais des mandats et des injonctions qu’il a reçus pour remédier à des insuffisances dans l’exécution du droit fédéral du développement territorial.
On voit que l’arsenal mis au service des directives fédérales est sérieux et complet. Les cantons sont vraiment mis au pas. Ils doivent marcher droit. Mais il y a plus.
La zone à affectation différée
Au sens du projet de loi, les zones à bâtir doivent être délimitées de façon à créer des aires urbanisées compactes. Un terrain ne peut être classé dans une zone à bâtir qu’à la condition d’être propre à la construction, s’il existe un besoin établi de terrains à bâtir au niveau régional et si la disponibilité du terrain est garantie. C’est le Conseil fédéral qui précise si ces conditions sont réunies. Il fixe notamment la manière de calculer le besoin de terrains à bâtir. Cette mainmise sur l’aménagement cantonal est une vraie révolution.
D’ailleurs, afin d’adapter les zones à bâtir existantes qui excèdent le besoin tel qu’évoqué ci-dessus, le terrain constructible peut être attribué à une «zone à affectation différée». Un tel classement n’est pas indemnisé et ce terrain est assimilable à de la zone rurale. Si, par la suite, il est classé en zone rurale, son propriétaire reçoit une indemnité qui est en principe financée par les propriétaires dont les biens-fonds en zone rurale sont classés en zone à bâtir. L’indemnité correspond à la moitié de la différence entre la valeur du terrain situé en zone à bâtir et celle du terrain situé en zone rurale. Quant au montant mis à la charge du propriétaire débiteur de l’indemnité, elle ne doit pas excéder les 3/4 de la plus-value résultant du classement en zone à bâtir.
Les taxes
La gestion de l’ancienne zone agricole baptisée zone rurale semble donner plus d’autonomie aux cantons. Mais c’est dans le cadre de toutes les planifications directrices vues plus haut et en relation avec deux nouveaux types de taxes.
La taxe d’imperméabilisation pour des biens-fonds en zone rurale oblige le propriétaire à s’acquitter auprès du canton d’une taxe unique pour chaque mètre carré de terrain nouvellement construit ou imperméabilisé en zone rurale. Cette taxe est de fr. 300.-/m2 pour les surfaces qui supportent des constructions et de fr. 100.-/m2 pour les autres surfaces. En outre, pour chaque mètre carré de nouvelle surface habitable hors de la zone à bâtir, le propriétaire doit verser une taxe de 50 francs par mètre carré. Le droit cantonal peut prévoir un régime de compensation permettant de tenir compte équitablement d’autres avantages et inconvénients majeurs résultant de mesures d’aménagement au sens de la loi, ainsi que d’autres taxes d’orientation ou de remplacement.
Une révolution inutile
Le Conseil fédéral considère que le projet qu’il soumet à consultation est un contre-projet indirect à l’initiative pour le paysage. Il s’agit en réalité de la mise en oeuvre de l’initiative. D’ailleurs, comment une loi pourraitelle être un contre-projet à une norme constitutionnelle?
Le projet en consultation révolutionne le droit de l’aménagement du territoire en Suisse. La loi actuelle est une loi-cadre qui définit les principes, laissant aux cantons le soin d’aménager leur propre territoire. Si le projet était accepté, la Confédération serait à même de régler le développement territorial des cantons et des communes jusque dans les détails par le biais d’une multitude de planifications directrices qui s’imposent aux autorités.
On s’étonne de voir un projet soumis à consultation alors que les principes qu’il doit mettre en oeuvre sont encore en gestation dans le dossier Projet de territoire Suisse. De plus, on ignore la position que va prendre le Conseil fédéral sur l’initiative pour le paysage.
Actuellement, l’aménagement du territoire est une affaire communale. Le Canton coordonne et arbitre. La Confédération, par le biais du plan directeur cantonal, coordonne et arbitre aussi s’il y a risque d’incohérence ou de conflit entre cantons. Quelle nécessité y a-t-il de confier à la Confédération, et plus particulièrement à l’Office fédéral du développement territorial, le soin de fixer la surface et l’emplacement des zones à bâtir à Yverdon, Lucens ou Founex? En la matière, les communes et les cantons n’ont pas démérité. Ils ne doivent pas être spoliés d’une tâche qui leur est propre et qu’ils sont les mieux à même d’accomplir.
Pourquoi et comment la Confédération serait-elle plus apte que les cantons et les communes à lutter contre le mitage du territoire?
NOTES:
1) Rapport explicatif du Conseil fédéral sur la révision de la loi sur l’aménagement du territoire p. 7.
www.are.admin.ch/themen/recht
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- L’imagination dans la recherche historique – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Exemplaire Jura – Pierre-Gabriel Bieri
- Mon banquier m’a dit… – Jean-François Cavin
- Contribuables, à vos poches! – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Actualité de la monarchie en Géorgie – Nicolas de Araujo
- La reconnaissance, besoin d’esclaves – Jacques Perrin
- Le dodécaphonisme contre la dignité humaine – Le Coin du Ronchon