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Le piège de l'excellence

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1736 9 juillet 2004
Tout discours sur l’université se doit de consacrer un paragraphe à l’excellence. Au nom de quoi pourrait-on s’y opposer? L’université doit être un «pôle d’excellence». Très bien. D’un autre côté, la recherche de l’excellence n’a-t-elle pas toujours été, du moins en principe, le propre de l’université? Pourquoi en discourir si abondamment aujourd’hui?

L’université est la fleur intellectuelle d’une ville ou d’un pays. Les maîtres les meilleurs et les plus savants, les chercheurs les plus inventifs y dispensent leur enseignement dans les domaine de la théologie, de la philosophie, des sciences et des lettres, du droit, de l’économie, de la médecine.

Cette diversité fait qu’on parle d’université «complète» ou, mieux, d’université «généraliste». Même si elle n’est pas réellement complète - aucune université n’enseigne vraiment tout - une université peut être généraliste. Le terme signifie aussi qu’on y applique, par-delà les différences de méthodes imposées par les différents objets d’étude, les mêmes qualités générales de probité intellectuelle, de désintéressement, de sérénité et d’humilité. Cela signifie aussi que la formation reçue ne crée pas d'emblée des spécialistes, mais des esprits complets et équilibrés... lesquels se spécialiseront peut-être ultérieurement.

Une université ne peut espérer trouver dans le seul terreau local des enseignants de premier ordre pour toutes les branches. Elle se contentera généralement d’en avoir des bons, ou simplement des suffisants. Et il arrive parfois qu’un professeur du crû réalise des travaux exceptionnels qui lui valent une notoriété internationale parmi ses pairs. A travers lui, et parfois ses successeurs et disciples, cette notoriété rejaillit sur l’université tout entière. C’est ainsi que l’excellence se rencontre, parfois, comme aboutissement de la vie universitaire.

L’université fournit la ville et le pays en personnes qualifiées de haut niveau intellectuel. Elle ne réunit pas forcément et toujours les professeurs et les étudiants les meilleurs. Mais elle compense ces manques occasionnels par ses relations étroites avec la ville et le pays. La population se retrouve dans son université.

Son enracinement n’empêche nullement une université d’inviter l’un ou l’autre professeur étranger réputé, voire de s’en assurer durablement les services. Au contraire.

Le discours qui pose l’excellence en priorité absolue est à l’opposé exact de cette conception organique de l’université. Il se fonde sur la compétition à outrance à l’échelle la plus large, c’est-à-dire européenne ou mondiale. «Nous devons être parmi les dix meilleurs de la planète, ou alors ne pas nous en mêler...» Ce genre de rodomontade est typique du discours sur l’excellence.

Une compétition à l’échelon européen exige des ressources financières considérables, d’où une compétition entre professeurs, entre facultés, entre universités pour se faire valoir auprès de ceux qui peuvent leur procurer les fonds suffisants, soit les pouvoirs publics d’une part et les sponsors et investisseurs de l’autre.

Comme disent les penseurs de l’excellence, «l’université doit se vendre». En d’autres termes, l’excellence est condamnée à se manifester dans deux directions: le spectaculaire (Alinghi) et l’utile, c’est-à-dire la recherche appliquée, de préférence immédiatement. Ce n’est pas scandaleux en soi, mais on reste à la superficie de l’esprit universitaire.

La connaissance pour la connaissance, l’approfondissement philosophique, les progrès dans l’analyse historique, l’avancée dans les mathématiques pures, les synthèses juridiques, la critique qui pénètre les mystères poétiques, l’exégèse qui affine la doctrine théologique, la formation au jugement médical et à la déontologie des professions libérales, en un mot l’excellence, non comme résultat extérieur à atteindre le plus rapidement possible, mais comme horizon de la formation de l’honnête homme, tout ce qui fait l’essence de l’esprit universitaire se trouve dévalorisé, nié.

A la limite il n’y aura plus une «Université de Lausanne», mais un regroupement sur un lieu quelconque, déterminé par la commodité des installations et la proximité des moyens de transport, d’individualités plus ou moins géniales débauchées sur la terre entière par des chasseurs de grosses têtes. C’est l’université hors sol.

Leurs moyens financiers et humains limités contraindront les petites et moyennes universités à se spécialiser dans un ou deux domaine de plus en plus pointus, dans quelques «niches» - provisoirement - inoccupées (à la niche, les petits!).

La tendance à la monoculture intellectuelle s’étendra à l’étudiant qui devra lui aussi «se vendre», être spectaculaire et prouver son utilité sous peine d’être jeté.

L’excellence coupée d’un enracinement territorial et d’un cadre communautaire, c’est la mort de l’université.

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