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Vertus monarchiques contre vices démocratiques

Jacques Perrin
La Nation n° 1915 20 mai 2011
«Besoin de grandeur», disait Ramuz. C’est plutôt l’évidence de la petitesse qui nous a frappé quand se sont répandus les commentaires de nos braves médiatiques à propos du mariage princier d’Angleterre. Il s’agissait pour eux de vanter la démocratie étouffant sous sa rationalité prétendue les «rêves de midinettes».

Aussi avons-nous pris connaissance avec intérêt de l’article1 de Ian Buruma qui considère la monarchie avec plus de raffinement que certains plumitifs remplis de fiel contre ce qui les dépasse.

Les réflexions du professeur hollandais exilé à New York ne sont pourtant pas dépourvues d’ambiguïtés. L’auteur ne chante les «vertus secrètes de la monarchie» que parce qu’elles soutiennent un multiculturalisme qu’il tient pour inéluctable.

Buruma conclut son article en affirmant qu’il est bon de «maintenir la royauté quelque temps encore […] Maintenant que de nombreuses nations européennes sont de plus en plus mixtes en termes ethniques et culturels, la seule façon d’avancer est d’apprendre à vivre ensemble. Si les monarques peuvent enseigner cela à leurs sujets, alors accordons ne serait-ce qu’un grand merci aux rois et reines qui subsistent».

Comment Buruma est-il parvenu à cette conclusion-là?

Il rappelle d’abord les critiques habituelles adressées à la monarchie. Ce régime n’est plus à la page parce que les privilèges héréditaires sont insupportables à la conscience moderne; il est infantilisant car ses fastes installent une atmosphère de conte de fée; les monarques imitent la vulgarité des vedettes du show business avec lesquelles ils s’associent. «Mais, ajoute Buruma, qualifier le déballage de ces personnes d’extravagance ostentatoire comme inutile serait passer à côté du sujet, (…) il y a une soif profonde et partagée de vivre par procuration la vie des rois», même si ceux-ci se serrent «dans un bocal où ils sont constamment exposés», victimes «d’une forme terrible de cruauté».

C’est le prix que paient les monarques pour inscrire les nations dans la durée, pour «avoir maintenu vivantes les notions d’espoir et d’unité parmi leurs sujets» durant la guerre mondiale et l’occupation nazie, en Angleterre, en Hollande, au Danemark, pour avoir contrebalancé le poids du nationalisme ethnique dans l’Empire austro-hongrois où les Juifs ont vécu un âge d’or; c’est la rançon de la stabilité qu’ils autorisent dans l’Espagne postfranquiste par exemple.

«Dans ce sens, dit encore Buruma, la monarchie est un peu comme l’islam, ou l’Eglise catholique: tous les croyants sont supposés être égaux devant Dieu, ou le pape, ou l’empereur – d’où l’attrait que lui portent les pauvres et les marginalisés.» Buruma mentionne la reine Beatrix des Pays-Bas qui refuse de faire des distinctions ethniques ou religieuses entre ses sujets, passant pour une gauchiste aux yeux des populistes hollandais. Il souligne les «origines très mélangées» de la plupart des familles royales européennes.

Après ces intéressants développements, Buruma lâche une phrase surprenante: «Cette tradition démocratique de se tenir au-dessus des tensions réductrices d’un nationalisme ethnique pourrait être le meilleur argument en faveur du maintien de la royauté.»

A ce moment, nous ne pouvons plus approuver Buruma. On croit à une coquille. En quoi cette tradition est-elle «démocratique»? Buruma vient de montrer qu’elle est «monarchique»! Probablement qu’un reste d’attachement superstitieux à la souveraineté populaire le conduit à se contredire…

Buruma cafouille en effet. Avec raison, il reconnaît deux avantages au régime monarchique qui, d’une part, garantit l’unité nationale et, d’autre part, respecte les différences. Or la démocratie des partis divise les citoyens et le dogme égalitaire sur lequel elle est fondée produit la ressemblance. Elle ne peut donner droit à la différence qu’en créant des partis sur une base ethnique et communautaire, ou en obligeant les partis en place à s’attacher telle ou telle «clientèle». Sur ces points, monarchie et démocratie sont incompatibles. La démocratie détruit ce que la monarchie a construit.

Quant à nous, même si cette préférence fait rire sous nos climats, plutôt que d’obéir à une majorité de hasard, aux lois proliférantes ou à des technocrates grisâtres, nous inclinons vers la monarchie, non que nous désirions voir sans délai une tête couronnée au Château, là n’est pas la question, mais parce que l’exercice du pouvoir et de l’autorité ne saurait être que personnel. Bien qu’il soit malheureusement parfois inévitable, dans une situation d’incertitude ou d’impuissance, d’avoir à prendre une décision à la majorité, il faut bien une personne pour l’exécuter. Quand tout va mal, on finit toujours par recourir à un chef, même en démocratie.

Par ailleurs, le bon monarque respecte les différences, non que tous ses sujets soient égaux devant lui, mais parce que ceux-ci appartiennent à des communautés intermédiaires pourvues d’un statut se rapportant à leur contribution respective à l’édification de la nation. Le respect dû à chacun n’a rien à voir avec l’égalité.

Analogiquement, l’affirmation fréquente selon laquelle nous sommes tous égaux devant Dieu nous paraît inadéquate. Elle permet sans doute de «moderniser» le christianisme, mais n’est pas pertinente pour autant. Peutêtre nous aventurons-nous dans les sables mouvants mais nous osons croire que Dieu ne nous compare pas et n’établit pas l’égalité de tous avec chacun. Il est en revanche le seul à nous connaître parfaitement, mieux que nous nous connaissons nous-mêmes, et le seul à nous aimer dans notre unicité.

 

1 «Les vertus secrètes de la monarchie», in Le Temps du vendredi 6 mai.

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