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La HES-SO, ce machin

Jean-François Cavin
La Nation n° 1923 9 septembre 2011
Qu’y a-t-il de commun entre l’Ecole d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg, la Haute école de musique de Lausanne (naguère nommée Conservatoire) et l’Ecole de tourisme de Sierre? Pas grand chose, de toute évidence, ni les domaines d’activité, ni le rattachement cantonal. Et pourtant ces trois hautes écoles partagent le même sort et obéissent à des règles communes au sein de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO), avec vingt-quatre (!) autres institutions d’enseignement supérieur, localisées sur trente-trois (!) sites, vouées à la formation d’infirmières, d’informaticiens, de designers, d’ingénieurs en génie civil, en mécanique ou en multimédias, d’hôteliers, de gestionnaires d’entreprise, de comédiens ou de contrebassistes. Pourquoi cet empilage disparate, placé sous une direction générale sise à Delémont et réglé par un concordat et quelques accords complémentaires de manière fort compliquée?

Un peu d’histoire

Dans les années 1990, le monde politique et professionnel a souhaité renforcer les technicums et les écoles de gestion de niveau tertiaire, à l’instar de ce qui se faisait en Allemagne depuis pas mal de temps déjà. Cette idée, judicieuse en elle-même, a été concrétisée par la mise en place de HES reconnues et subventionnées par la Confédération, sous l’influence notamment de Jean-Pascal Delamuraz – bien peu fédéraliste hélas! – en charge alors du Département de l’économie dont relève la formation professionnelle. La mode étant aux concentrations et aux synergies, Berne a décrété qu’il ne devait pas y avoir plus d’une dizaine de HES dans toute la Confédération. Les cantons romands, riches en écoles de cette catégorie, après quelques hésitations (notamment à Genève qui songea à faire cavalier seul), optèrent pour la création d’une HES unique, dont relèveraient toutes les institutions du type envisagé.

Aux écoles techniques et de gestion s’ajoutèrent – après la révision totale de la Constitution fédérale qui étendait la compétence de l’Etat central à toutes les formations – les écoles d’infirmières et de services sociaux, puis les écoles d’art et de musique. Le technicum agri-viticole de Changins, l’Ecole hôtelière de Lausanne et la Haute école de théâtre de la Suisse romande (la «Manufacture») passèrent aussi convention avec la HES-SO pour bénéficier des subventions fédérales. D’où cet assemblage hétéroclite et gigantesque (plus de 15’000 étudiants à l’heure actuelle).

Les dispositions concordataires d’origine (1997) ne semblent plus tout à fait adaptées à la situation d’aujourd’hui, d’autant plus que les HES, comme les universités, doivent désormais accommoder leur fonctionnement à la sauce bolognaise, avec bachelors, mastères, contrôles de qualité, accréditation et tutti quanti. Une nouvelle convention intercantonale est donc en voie d’être présentée aux autorités des cantons intéressés – tous ceux de Suisse romande ainsi que Berne pour l’école d’ingénieurs de Saint-Imier. Le texte reprend dans une large mesure les dispositions actuelles, tout en les ordonnant de façon plus claire. En voici l’essentiel.

L’organisation

La HES-SO coiffe une multitude de hautes écoles dans les cantons partenaires, en les ventilant en six «domaines»: sciences de l’ingénieur, économie et services, santé, travail social, design et art, musique et arts de la scène. Les hautes écoles spécialisées sises dans un canton se regroupent en une haute école cantonale.

Une «convention d’objectif» passée entre les cantons et la HES-SO définit les missions de celle-ci et des hautes écoles individuellement, les axes de développement stratégiques, le «portefeuille des produits offerts», le plan financier (enveloppe globale). Le Rectorat l’applique par voie de «mandats de prestations» donnés aux «domaines» et aux hautes écoles individuellement. Celles-ci, censées être autonomes… dans le respect du mandat de prestation et des règlements centraux (ainsi que du cadre juridique de leur canton de site), organisent l’enseignement et la recherche, nomment leur personnel, gèrent le budget qui leur est attribué et peuvent développer des activités non financées par la HES-SO.

Les organes de la HES-SO foisonnent: Comité gouvernemental (formé des conseillers d’Etat en charge du dossier dans chaque canton et prenant ses décisions à l’unanimité), Commission interparlementaire (intercantonale) de contrôle, Rectorat (un recteur et deux ou quatre vice-recteurs), Comité directeur (formé du Rectorat, des directeurs des HES cantonales et des responsables de «domaines»), Conseils de domaines (directeurs des écoles du «domaine» envisagé), Conseil stratégique (comité consultatif formé de personnalités extérieures à la HES-SO), organes de «participation» des étudiants et du personnel (dont un Conseil de concertation pour l’ensemble et des Conseils participatifs de domaines), sans compter les organes de contrôle de la gestion et des comptes et la surveillance de l’administration fédérale.

Le financement

Le financement, en provenance de la Confédération pour un tiers et des écolages pour une petite fraction, est assuré au reste, pour l’essentiel, par un «pot commun» alimenté de la manière suivante: 5% du montant nécessaire par une contribution forfaitaire de chaque canton (ou groupe de cantons, le Jura, Neuchâtel et Berne formant un club avec un seul représentant au Comité gouvernemental); 50% du montant nécessaire versé par les cantons, chacun en proportion du nombre de ses étudiants dans la HES-SO; 45% versé par les cantons, chacun en proportion du nombre d’étudiants des hautes écoles sises sur son territoire («avantage de site»). La dépense est fixée, en fonction d’un plan quadriennal indicatif arrêté par les cantons et avalisé par la Confédération, par tranches annuelles intégrées aux budgets cantonaux respectifs.

Dans ce système, il est probable que le Canton de Vaud, par exemple, paie – hors subventions fédérales et écolages – la quasi totalité des coûts des hautes écoles qu’il abrite; mais contrairement à l’adage, il paie et ne commande pas, du moins formellement. Le mécanisme de financement ne suffit pas à justifier l’existence de la HES-SO; il suffirait d’un accord fixant la contribution des cantons pour leurs étudiants inscrits dans une école d’un autre canton, comme pour les universités.

Les hautes écoles sous tutelle administrative?

Les compétences des divers organes – et de la HES-SO par rapport à chaque haute école – sont définies de manière assez générale et abstraite. La «stratégie des domaines» comprend-elle la création d’un nouvel enseignement? Quel est le degré de précision des lignes budgétaires allouées à chaque école? Les textes disponibles ne le disent pas. Il semble que, jusqu’à présent, les hautes écoles n’ont guère eu à souffrir de directives trop envahissantes. La nouvelle convention est censée renforcer le Rectorat; on peut certes l’interpréter dans un sens très interventionniste; mais le droit de veto cantonal crée un certain contrepoids.

La HES-SO, si elle ne paraît pas liberticide pour les hautes écoles prises individuellement, du moins jusqu’à présent, constitue assurément une lourde bureaucratie. Imaginons qu’une haute école veuille créer un enseignement dont l’existence relève des organes centraux. Elle devra:

  • s’assurer bien sûr de l’assentiment de son canton, en passant par la direction de la heS cantonale
  • obtenir l’accord du Conseil de domaine
  • soumettre le projet au Conseil participatif de domaine
  • le présenter pour préavis au Conseil de concertation
  • le présenter au Conseil stratégique en vue d’éventuelles recommandations
  • obtenir la décision finale du Rectorat (finale… sous réserve de l’approbation du budget par les cantons).

On comprend les coups de gueule lancés par M. Pierre Keller lorsque l’ECAL est entrée dans la nébuleuse!

Conclusion

La HES-SO est une construction artificielle, échafaudée à seule fin de satisfaire à des exigences administratives fédérales mal conçues. On devrait considérer les institutions de formation, à l’instar des entreprises, comme des maisons, et non comme les pièces d’une grande machinerie. Des maisons dont il faut respecter le caractère et l’unité, et soigner le dynamisme dont une direction libre et responsable est la garante.

Le machin HES-SO n’a en fait guère d’utilité. Il est sans doute souhaitable que les cantons se concertent pour répartir entre eux les disciplines et éviter les doublons dans celles où les effectifs d’étudiants sont faibles; c’est l’affaire des gouvernements. Au-delà, on voit surtout de la paperasse, des coûts inutiles et une construction somme toute fragile: le veto d’un canton sur une décision stratégique ou sur une ligne budgétaire peut tout bloquer.

Plutôt que d’adopter une nouvelle convention – au demeurant pas mal faite compte tenu de la folle complexité de l’affaire –, les cantons devraient agir auprès de la Confédération pour qu’elle reconnaisse désormais chaque haute école cantonale comme interlocutrice, afin que la superstructure occidentale puisse être supprimée.

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