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Trop civilisés

Jacques Perrin
La Nation n° 1927 4 novembre 2011
Près de la gare de Lausanne, au 36 de la rue du Petit-Chêne, on lit sur une affiche: «STOP à la violence contre la police!» Il se trouve que l’affiche en question est apposée sur la vitrine du poste de police, à côté de recommandations pour se protéger des pickpockets. C’est comme si on lisait sur la porte d’une caserne: «Désolés, nous ne sortirons jamais d’ici, l’ennemi est trop méchant» ou qu’un boulanger nous avertissait: «N’achetez pas mon pain, la farine qu’on me fournit est exécrable!»

Nous n’avons aucune envie de nous moquer de la police lausannoise qui devrait s’en prendre à ses chefs politiques, mais le fait que les prétendues «forces de l’ordre» se plaignent des fauteurs de troubles au lieu de les arrêter, et que du même coup elles révèlent leur impuissance avec une involontaire candeur, nous inquiète.

Sous nos climats, l’Etat dispose depuis longtemps, par l’intermédiaire de la police et de l’armée, du droit exclusif d’exercer la force. La force, c’est la violence domestiquée, utilisée afin de maintenir un ordre social propice aux membres de la cité.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (voire depuis un siècle et demi en ce qui concerne les cantons suisses!), les Etats d’Europe occidentale ont réussi à faire régner une paix et un ordre appréciables, surtout après les brutalités extrêmes auxquelles ont donné lieu les deux guerres mondiales.

Il semble que la tâche du maintien de l’ordre soit soudain devenue un trop lourd fardeau. La police, moins bien armée que certains criminels, est critiquée dès qu’elle emploie la force, au point d’avoir à se justifier pour un oui ou pour un non. Remarquons qu’il en va de même dans les familles, où une simple gifle paraît un crime inexpiable, et à l’école, où donner une punition signale l’échec des enseignants.

Plus généralement, on confond la force avec la violence sauvage et l’usage de celle-là semble aussi scandaleuse que celle-ci.

Nous avançons deux explications à ce phénomène.

Dans les pays voisins, qui ont tous vécu les horreurs des deux guerres – en y ajoutant pour la France l’effroyable conflit algérien –, des politiciens, des philosophes et les milieux bourgeois qu’ils influencent ont pris en horreur tout acte violent, même légitime. Ils imaginent qu’il est possible de vivre dans un monde d’où toute violence serait bannie, qu’il faut à cet effet modifier la nature humaine, créer un homme nouveau, si heureux et si repu qu’il n’aurait nul besoin d’user de la force pour obtenir ce qu’il désire. Cette vue du monde est utopique, mais elle semble gagner des adeptes dans un certain milieu libéral-socialiste.

A cela s’ajoute, particulièrement ici, en pays vaudois, ce que nous appellerions à regret, faute d’une expression plus pertinente, un excès de civilisation. Nous sommes tellement habitués à des rapports humains paisibles, à la politesse, à la retenue, à la bonhomie des gendarmes et au règlement négocié des conflits, que nous ne savons plus comment nous comporter quand l’usage de la force serait nécessaire.

La violence semble ridicule, inappropriée, à tel point que nous devenons timides. Nous n’en avons plus l’habitude. Qui parmi nos lecteurs a déjà assisté à une rixe, qui a vu le sang couler, des couteaux sortir des poches, qui a dû un jour en venir aux mains? A moins de fréquenter assidûment les abords des boîtes de nuit lausannoises ou les trains à 4 heures du matin, nous prenons le plus souvent connaissance de ces débordements par l’intermédiaire de la télévision, et c’est heureux.

Nous risquons de nous apercevoir un peu tard que toute félicité a son revers. Si nous cessons d’éduquer nos enfants par crainte de la force et de la contrainte, les bambins-tyrans et les adolescents-rois, devenus adultes pervers, nous le feront vite regretter. Il faut aussi nous souvenir qu’une partie des populations étrangères que nous accueillons, africaines, maghrébines, balkaniques ou sud-américaines, appréhende les rapports sociaux d’une manière fort différente de la nôtre. Beaucoup d’étrangers ont l’expérience de violences extrêmes: conflits interethniques, guerres civiles, règne des mafias et des gangs. Sans doute veulent-ils en émigrant chez nous plus de douceur, mais ne risquent-ils pas aussi, dans un premier temps, d’introduire leurs moeurs chez nous? Notre indolence de citoyens très tranquilles (les délices de Capoue!) nous autorisera-t-elle à réagir?

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