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FATCA Kesako?

Philippe Szokolóczy-Syllaba
La Nation n° 1981 29 novembre 2013

Vous pensiez ne pas être concernés. Encore une de ces abréviations barbares, vous êtes-vous-dit, pour désigner Dieu sait quelle invention loufoque venue tout droit des cercles élevés de la finance. A raison sans doute, car il s’agit bien d’une invention barbare. Mais ne vous leurrez pas, car premièrement il se peut bien qu’elle vous concerne, même si ce n’est qu’indirectement, et deuxièmement il s’agit d’un des plus fascinants développements de ces vingt dernières années qu’il est impératif de comprendre, afin de ne pas rester les bras croisés à attendre de nous faire détrousser par nul autre que l’Oncle Sam. Et quand je dis «nous», ce n’est pas seulement de la Suisse que je parle, mais des nombreux autres pays qui sont également visés par FATCA.

Vous penserez que j’exagère, sans doute pour vous convaincre de me lire jusqu’au bout ou pour vous rallier à quelque obscure théorie du complot que j’aurais échafaudée à mes heures perdues. Auquel cas, ne faites rien, ne signez pas le référendum contre FATCA et ne vous donnez surtout pas la peine de lire ce qui suit. Attendez tranquillement que votre banque transmette votre nom au fisc américain afin que celui-ci puisse vous réclamer entre 27,5% (dans le meilleur des cas) et trois fois (oui vous avez bien lu) le montant de vos avoirs bancaires en Suisse, y compris de vos deuxième et troisième piliers. Le tout sous la menace de sanctions pénales pour crime de blanchiment d’argent.

Sauf si vous n’êtes ni américain, ni détenteur d’une green card, ni né aux USA, ni en possession d’une résidence secondaire aux USA, ni détenteur d’un numéro de téléphone américain, ni né de parents américains, ni marié à un conjoint américain ou que vous n’avez jamais eu de liens avec un compte détenu par quelqu’un qui remplirait une de ces conditions (en tant que procuré, gestionnaire de fortune, avocat, etc.). Dans quel cas, circulez, il n’y a rien à voir, votre tour n’est pas encore venu. Encore que ce que vous venez de lire pourrait vous avoir choqué et avoir titillé en vous, par solidarité, le sentiment qu’il est de votre devoir de défendre certains principes fondamentaux.

Pourquoi nos dirigeants n’y ont vu que du feu?

D’autres raisons ont dû prévaloir chez nos élus lorsque notre Gouvernement a signé l’accord FATCA en février dernier et lorsque notre Parlement l’a validé le 23 septembre 2013. Pour leur défense, on pourra toujours se convaincre qu’ils n’ont pas compris la portée véritable du blanc-seing signé en faveur du Trésor américain. C’est en effet un texte qui demande un décryptage certain, auquel je vais tenter de procéder afin de vous en épargner la lecture fastidieuse. La bonne nouvelle est qu’il est encore temps d’agir, puisqu’un référendum a été lancé. Le propre d’un cheval de Troie est qu’on ne s’aperçoit généralement pas ou trop tard de ses effets. Les Américains, qui nous avaient habitués à croire qu’ils n’étaient que de bruyants cowboys à la John Wayne qu’on avait tout le temps de voir venir, ont su se révéler bien plus malins qu’on l’aurait pensé face à l’enjeu dont il est question ici. Un enjeu de taille d’ailleurs, puisqu’il ne s’agit de rien de moins que de la dette américaine et de tout le système de refinancement qui en dépend.

Le Boston Consulting Group (BCG) l’avait annoncé dans son dernier rapport, ce ne sont pas la planche à billet et les politiques monétaires accommodantes des banques centrales qui nous sortiront de la crise, mais bien une ponction des patrimoines privés, ponction estimée par le BCG à 30% de la fortune des heureux «contribuables» concernés. Délicat cependant pour le Trésor américain d’aller se servir directement sur les comptes des banques US comme l’a fait Chypre auprès de ses banques. Il a donc fallu inventer FATCA et le flanquer d’un redoutable acolyte, FBAR.

FBAR existe depuis 1980, mais il était resté quelque peu dormant. On comprendra toutefois assez vite pourquoi il a semblé si opportun de l’exhumer soudainement. Que nous dit FBAR? If you have a financial interest in or signature authority over a foreign financial account, including a bank account, brokerage account, mutual fund, trust, or other type of foreign financial account, exceeding certain thresholds, the Bank Secrecy Act may require you to report the account yearly to the Internal Revenue Service by filing a Report of Foreign Bank and Financial Accounts (FBAR). Jusque-là pas de raison apparente de paniquer. Si ce n’est que le minimum au-dessus duquel il faut (ou fallait) déclarer est de 10000 dollars et que la sanction en cas de non déclaration est une ponction de 50% du compte par année de violation. Qu’importe le fait qu’aucun impôt n’était dû et que le contribuable ignorait qu’il lui fallait déclarer l’existence de son compte. La pénalité restera de 50%. Si de surcroit on découvre que le contribuable avait soit volontairement omis de déclarer ou négligé de s’informer de cette obligation déclarative, il lui en coutera au minimum 100000 dollars.

Imaginez un binational américano-suisse qui a par exemple vécu toute sa vie en Suisse, mais avait acquis la nationalité américaine à la naissance. En vertu de la convention américano-suisse, il n’avait pas à payer d’impôt aux USA sur son deuxième pilier suisse, mais il ignorait qu’il devait néanmoins le déclarer au fisc américain, pour la forme, sur le formulaire TD F 90-22.1. Ne l’ayant pas fait, il est devenu aux yeux de la justice américaine un blanchisseur d’argent qui devra être sanctionné d’une pénalité d’au minimum 50% de son deuxième pilier et peut-être bien plus (jusqu’à trois fois le montant de son épargne selon les cas). Si toutefois, réalisant l’infraction dont il s’est rendu coupable, il fait amende honorable en faisant spontanément une OVDP (Offshore Volontary Disclosure Program), il en sera quitte pour seulement 27,5% de ses économies et de sa retraite, saupoudrés de quelques frais d’avocat. Pas sûr en revanche qu’il échappe aux poursuites pénales car le juge pénal américain conservera toute latitude de le sanctionner s’il l’estime nécessaire. On ne parle évidemment même pas de son gestionnaire de fortune ou de son avocat qui sont vraisemblablement d’abominables complices.

Dans ces circonstances, on imagine que peu de candidats se pressent au portillon. Se faire expliquer qu’on n’avait pas d’impôt à payer, mais parce qu’on a omis de déclarer un compte qu’on ne savait même pas devoir déclarer, on pourrait s’en tirer au mieux en payant 27,5% du compte et prier pour qu’il n’y ait pas de poursuites pénales, ça n’attire pas les foules. D’où FATCA, le vilain cheval de Troie, soutenu par les grandes banques suisses, ce qui explique en partie l’aveuglement de nos autorités. Ce qu’il faut comprendre, c’est que FATCA est le fumigène qui servira à débusquer les moutons (c’est plus facile à tondre qu’un rat) qui ne s’étaient pas volontairement déclarés au fisc américain, même s’ils n’avaient pas fraudé et même s’ils ignoraient qu’ils devaient déclarer leur compte. Une opération juteuse si l’on imagine les millions de personnes qui pourraient potentiellement être concernées de par le monde!

Comment ça marche?

Le Département de Justice américain s’arrange d’abord pour coincer une grande banque suisse aux Etats- Unis et la forcer à donner le nom de ses clients américains. Puis il lui tord encore un peu le bras pour qu’elle fournisse une leaver list, une liste des banques vers lesquelles sont partis les clients qui avaient eu vent de la chose avant. Puis on coince les banques de ladite liste et ainsi de suite. En échange, on leur évite de devoir mettre la clef sous la porte, en leur remémorant pour l’exemple le triste sort du veau sacrificiel, la banque Wegelin. On insiste sur le fait qu’il serait de bon ton qu’elles fassent au passage un peu de lobbying pour la signature de FATCA auprès du Parlement suisse et conseillent fortement à leurs clients de faire une Volontary Disclosure. A cet égard, FATCA facilitera la tâche des banques, puisque le but sera justement de leur permettre de livrer en toute légalité au fisc américain le nom de tous leurs clients qui ont un lien avec les USA. Et si ces derniers n’ont pas voulu se livrer d’eux-mêmes au fisc, FATCA permettra aux banques de les classer comme récalcitrants, ce qui autorisera le Trésor américain à augmenter les pénalités à plus de 50% du compte.

Le procédé mis au point par le Département de Justice américain fait froid dans le dos. Mais la fin justifie les moyens. Les caisses sont vides et on peut compter sur Oncle Sam pour viser large et inclure dans les cibles potentielles tous ceux qui pourraient tomber sous le coup d’une définition élargie de l’US person (définition, il faut le préciser, qui reste extensible à souhait selon le bon vouloir des autorités américaines). Ne vous étonnez donc pas si à l’avenir votre banque vous demande si vous avez une résidence secondaire aux USA, si votre conjoint ou vos parents sont américains, si vous avez étudié aux Etats- Unis ou si vous avez un numéro de téléphone US. Maigre consolation, si FATCA passe, vous ne serez pas les seuls concernés: on parle de plus de 250000 personnes vivant en Suisse, dans l’hypothèse où les banques devraient se laisser imposer une définition élargie de l’US person. L’histoire ayant démontré l’efficacité diabolique du procédé quand on donne le choix entre être espion ou persécuté, il ne faut pas se bercer d’illusions quant à l’avenir qui nous attend.

Peut-on encore faire quelque chose?

Les questions que nous devons nous poser sont les suivantes: voulons- nous tolérer que nos banques subissent le chantage du Département de Justice et du Trésor américain? Qu’elles se retrouvent forcées de devenir des espionnes et des délatrices, dans bien des cas, de résidents suisses qui n’ont commis aucune infraction fiscale? Que nos économies servent à renflouer les caisses du Trésor américain et que la réputation et l’image de la Suisse continuent à être bafouées aux yeux du monde? Ou voulons-nous défendre une certaine idée de l’indépendance en rejetant FBAR/FATCA, un système immoral et anti-démocratique, proposé illégitimement par une administration étrangère? Voulons-nous préserver de la sorte la crédibilité de nos institutions, fondement d’une place financière forte, et donner un exemple de souveraineté populaire pouvant faire école dans le monde? Souhaitons-nous nous comporter comme un pays européen responsable, ce qui par ailleurs créerait de nouvelles conditions favorables pour un dialogue constructif avec l’Union Européenne, ainsi que ses Etats membres et, finalement, générer de la reconnaissance et du respect de la part de nombreux pays par le monde, qui sont confrontés actuellement au même dilemme que la Suisse?

L’institution du référendum a été créée pour une raison précise. C’est le garde-fou à disposition du peuple quand il estime que le Gouvernement ou le Parlement n’a pas décidé dans l’intérêt du pays. Signez donc et faites signer le référendum contre FATCA! Et ne repoussez pas sa signature à demain, car nous n’avons que jusqu’au 16 janvier pour agir. Le temps de sortir nos arbalètes référendaires est arrivé!

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