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Le dernier sursaut

Jacques Perrin
La Nation n° 2029 16 octobre 2015

Lors de ses apparitions télévisuelles, Michel Houellebecq se donne l’air d’un agneau crevotant. Il cache bien son jeu. En fait, il a du répondant et de la suite dans les idées. L’image qu’il donne de notre société tourmentée par la mondialisation n’est pas dépourvue de justesse.

Son dernier roman, Soumission, est paru le 7 janvier, jour de l’attentat contre Charlie Hebdo (comme c’est loin! Les «je suis migrant» ont supplanté les «je suis Charlie»…). La discussion s’est focalisée sur l’hostilité supposée de Houellebecq à l’islam. Avec le recul, nous dirons que l’islam n’est qu’un thème secondaire. Les sujets essentiels du livre sont la vitalité perdue des Français et la difficulté de se convertir… au catholicisme.

Agé de 44 ans en 2022, professeur des universités, le narrateur du roman s’appelle François. Il est accablé par une existence insignifiante, n’ayant pas le courage d’en finir. A la faveur d’un changement politico-religieux d’envergure, il se contentera de se soumettre à un nouveau maître. Le destin de François le décadent se calquera sur celui de la France islamisée. Tous deux recevront une «nouvelle chance» à condition de renier leur héritage spirituel.

Disciple d’Auguste Comte, Houellebecq croit qu’une société ne peut survivre sans religion. Le fondateur du positivisme croyait que le catholicisme était en bout de course et imagina une «religion de l’Humanité» qui fit long feu, bien qu’il en existe encore quelques églises, à Paris et au Brésil. Le narrateur de Soumission voudrait croire. Spécialisé dans l’étude de Huysmans, il cherche à suivre l’exemple de l’écrivain en se convertissant au catholicisme, mais échoue.

Matérialiste sans conviction, François peine à se considérer comme une personne. Quand son amie Myriam le quitte en disant selon la formule bien connue qu’«elle a rencontré quelqu’un», le narrateur s’insurge mollement: «Moi aussi, j’étais quelqu’un…» Il ne fait rien pour retenir la belle Myriam, seule personne pour laquelle il éprouve un sentiment, quand la jeune Juive fait son alya en Israël parce qu’un musulman va gouverner la France. Le narrateur se retrouve dans «une solitude aussi stupéfiante que radicale». Il n’a pas d’amis, ses parents séparés n’en ont pas non plus. Sa mère, «putain vérolée» selon les mots mêmes de François, et son père meurent au cours de l’histoire. Il enseigne «parce qu’il faut bien s’intéresser à quelque chose dans la vie». Il aime manger («on finit toujours par manger»), mais ne sait pas cuisiner. Il a passé du «céleri rémoulade» du restaurant universitaire à la «moussaka berbère» pour micro-ondes du «Géant Casino». Après le départ de Myriam, il en est réduit à visionner des films pornographiques américains qu’il préfère aux productions françaises médiocres («voilà ce qu’on pouvait attendre d’un peuple régicide»). Il n’a pas voulu fonder de famille parce qu’il craint le «partage des tâches».

Dans le roman, la femme française apparaît comme un être épuisé par sa double vie professionnelle et familiale, sexy au travail car il faut toujours «se vendre», et vêtue de tenues sportives informes à la maison pour s’occuper du ménage et des enfants. Après avoir couru de la crèche au bureau, elle rate le barbecue du vendredi soir devant son mari passif et ses amis avinés. Elle craint par dessus tout «l’affaissement de ses chairs».

Quand Myriam fait son alya, le narrateur avoue «qu’il n’y a pas d’Israël pour lui». Pourtant il cherche refuge dans la religion traditionnelle. Il se rend à Rocamadour, puis à l’abbaye de Ligugé.

Devant la Vierge noire, il voit «son individualité se dissoudre» et pressent «quelque chose de mystérieux, de sacerdotal, de royal», mais il «perd vite le contact», «se ratatine sur son banc», «définitivement déserté par l’Esprit», «réduit à son corps endommagé et périssable». Il faut dire que des détails ridicules suscitent son aversion: les «animations touristiques» à Rocamadour, le «visage ouvert et fraternel que parviennent à arborer les jeunes catholiques humanitaires»; dans l’enceinte du monastère de Ligugé est bâtie une «église moderne qui rappelle le centre commercial Super-Passy», sa cellule de moine est équipée d’un détecteur de fumée, un frère hôtelier ressemble à Pierre Moscovici, il est obligé de lire «l’insupportable prose de dom Jean-Pierre Longeat» contenue dans un opuscule édifiant «sur le sens d’une retraite au monastère». Le narrateur conclut: «A force de minauderies, de chatteries, de pelotages honteux des progressistes, l’Eglise catholique était devenue incapable de s’opposer à la décadence des mœurs.»

François n’a pas la force de se mesurer aux exigences supérieures qu’exige la foi catholique. Les difficultés sont insurmontables. Aussi se tourne-t-il vers l’islam, religion politique d’un accès spirituel facile, émanation d’une force qui comblera ses besoins utilitaires. Faible, il est attiré par la «virilité» de l’islam, capable de remettre de l’ordre dans une société partant à vau-l’eau.

Ben Abbes, nouveau président de la République, aucunement salafiste, fils d’un épicier tunisien, produit du «mérite républicain», est un politicien ambitieux et habile. Il désire reconstituer l’Empire romain. Les pays d’Afrique du Nord et la Turquie adhèrent à l’UE. Ben Abbes déplace la Commission européenne à Rome et le Parlement à Athènes. Le français devient langue de travail de l’Union à parité avec l’anglais. Le président gouverne comme Auguste: le pouvoir personnel se dissimule derrière le maintien, pour épater la galerie, de procédures démocratiques et de valeurs républicaines. Les femmes, de retour au foyer, cessent de travailler; le chômage diminue, la démographie augmente. La figure du père retrouve sa place. Les petits entrepreneurs des cités, l’artisanat et l’agriculture sont encouragés. Ben Abbes s’émancipe à la fois de l’Amérique et des pays du Golfe. L’Occident est mort, un nouvel Empire naît dans lequel la France occupe une place éminente.

Que nous enseigne le roman d’anticipation de Michel Houellebecq? Prisonniers de nos idéologies, nous sommes à nous-mêmes notre pire ennemi. Notre faiblesse insigne nous porte à la soumission pour diverses raisons. Dans la France de 2022, la gauche se soumet aux musulmans parce qu’elle est antiraciste.

Certains tempéraments traditionalistes déçus, comme le dénommé Robert Rediger, ex-identitaire catholique devenu recteur de l’université islamique de la Sorbonne, se convertissent parce qu’ils aiment la force et haïssent le féminisme. Ils rejettent le christianisme qu’ils ne connaissent que sous son aspect humanitaire. L’Europe est comme terrassée à la fois par sa mollesse et la nostalgie d’une pureté morale qui n’a jamais existé.

Voilà comment Houellebecq envisage l’avenir.

Serons-nous nombreux à penser que, Jérusalem, Athènes et Rome nous ayant laissé assez de ressources, la soumission, que ce soit à l’islam ou au mondialisme, n’est pas la seule issue?

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