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Un pilier qui s’effrite

Cédric Cossy
La Nation n° 2029 16 octobre 2015

Le Conseil des Etats a récemment approuvé le paquet «Prévoyance vieillesse 2020» en première lecture.

Ce projet de réforme cher à M. Berset devrait affronter le Conseil national nouvellement élu à la rentrée.

Nous ne voulons pas entrer dans les détails du paquet, concernant tant l’AVS que les caisses de pensions. Le compromis consiste à ne pas toucher au montant des rentes cumulées versées par ces deux piliers. Et, avec une population à l’espérance de vie croissante, il faut imaginer des sources supplémentaires de financement: 1% de TVA et 0,3% de cotisation salariale en sus, le tout accompagné par l’allongement de la durée de cotisation en début et en fin (pour les femmes seulement) de carrière active.

Entrée en vigueur en 1985, la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) et sa cohorte d’ordonnances ont subi déjà moult modifications et adaptations. La fréquence de ces ajustements ne cadre pas avec les objectifs temporels de la prévoyance professionnelle, qui concerne, statistiquement parlant, quarante ans de cotisations et vingt ans de retraite. Même avec un paquet labellisé 2020, le projet fédéral voit trop court.

La LPP se base sur un modèle économique et social dont quelques certitudes ont été mises à mal durant les trente années écoulées. Citons en premier lieu l’évolution du marché du travail. On trouvait il y a trente ans une majorité d’employés restant fidèles à leur employeur. Réciproquement, le patron se sentait un devoir moral de garder ses employés même lorsque les affaires allaient mal. Mais la flexibilisation de l’emploi, voulue tant par les employés que par certains employeurs, ne correspondait pas au cadre mutualiste étroit de la LPP originale. L’introduction du libre-passage s’est imposée comme une évidence en 1995.

Or, le libre-passage favorise la migration des bons risques: statistiquement, on quitte les entreprises qui périclitent pour rejoindre celles qui se développent. En instituant le transfert tant des contributions de l’assuré que de celles de l’employeur délaissé, on a cassé les liens de mutualité entre jeunes et vieux: l’institution de prévoyance délaissée garde les risques liés à la gestion des fonds pour retraités, mais ne recrute plus forcément de nouveaux actifs. La caisse de pensions Swissair représente en ce sens un cas d’école: elle ne compte que des retraités et ne peut s’appuyer ni sur son ancienne entreprise, ni sur des employés actifs pour un éventuel assainissement. Combien de caisses d’entreprises sur le déclin vont-elles se retrouver dans la même situation? Qui va payer les retraites si leurs fonds propres sont épuisés avant le décès des ayants droit?

L’encouragement à la propriété introduit cette même année 1995 a porté un autre coup au principe de mutualisation: de manière implicite, la possibilité de faire accéder les assurés à une partie de leur fonds de pension pour financer l’acquisition de leur propre logement revient à considérer ce fonds comme propriété de droit des assurés. Ceux-ci acceptent certes de renoncer au rendement du capital ainsi mis à disposition mais, par la réduction corollaire des fonds de l’institution de prévoyance, ils augmentent l’exposition de leur caisse et des autres assurés aux revers conjoncturels.

Le refus en 2010 par le peuple d’une réduction du taux de conversion minimal n’a fait que renforcer le sentiment d’individualisation des fonds de prévoyance. En garantissant aux retraités des revenus que, sur un plan actuariel, aucune institution de prévoyance ne peut garantir sans financement supplémentaire, on a renforcé les inégalités entre jeunes et vieux: ce sont les employeurs (dans le meilleur des cas) et surtout les assurés actifs qui passent à la caisse pour assurer la pérennité des fonds de pension. Beaucoup d’actifs proches de la retraite ont compris qu’ils risquent de recevoir au final moins qu’ils n’ont capitalisé. Ceci les incite, le moment venu, à préférer un versement en capital plutôt qu’une rente. Au pire, si le capital est épuisé trop rapidement, l’aide sociale pourvoira à une fin de vie pas trop miséreuse…

Le passage dans la majorité des caisses de pensions privées de la primauté des prestations à celle des cotisations a aussi fortement contribué à l’individualisation de l’épargne-retraite. L’assuré sait qu’il recevra ce qu’il a mis dans la caisse. D’aucuns même procèdent à des rachats ou des cotisations volontaires par souci d’optimisation fiscale. Avec un intérêt minimal de 1,75%, c’est même une bonne affaire en période de taux directeur négatif…

Enfin, il faut se méfier des réglementations étrangères. Les fonds de pension sont, aux Etats-Unis, considérés comme un élément patrimonial imposable. Cette vision des choses risque de faire aussi insidieusement son chemin chez nous, notamment grâce à FATCA: si le fisc américain impose quelques US persons établies en Suisse, comment et combien de temps la Confédération va-t-elle maintenir l’exonération fiscale pour ce type d’avoirs?

Le principe de mutualisation, qui prévalait lors de la création de la LPP, est en voie de disparition. Les différences, tant au niveau des plans de financement que des prestations entre les différentes caisses, risquent rapidement d’être vues comme autant d’inégalités. Le bricolage de «Prévoyance vieillesse 2020» sera dépassé avant d’être entièrement introduit.

L’alternative à terme passe soit par une caisse de retraite unique et étatique, autrement dit une AVS aux dispositions étendues, soit par un modèle d’assurance-vie obligatoire, autrement dit la généralisation du troisième pilier. Le système mutualiste du deuxième pilier est, à notre avis, condamné à disparaître.

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