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Médecins étrangers et moratoire sur l’ouverture des cabinets médicaux

Jean-François Luthi
La Nation n° 2038 19 février 2016

Depuis 2002, un moratoire sur l’ouverture de nouveaux cabinets a été décidé par le Conseil fédéral et prolongé par trois fois. Toutefois, son abrogation pendant dix-huit mois en 2012-2013 avait entraîné, en tout cas dans les cantons de Vaud et Genève, un doublement des installations en cabinet privé, dont beaucoup par des médecins étrangers. Les Suisses sont également soumis à la clause du besoin.

Le 18 décembre dernier, le Conseil national a décidé, à une voix près, de supprimer le gel des admissions des nouveaux cabinets médicaux dès la fin juin 2016. De nombreuses réactions ont suivi, illustrant à nouveau que la santé publique est au centre du débat politique, marqué presque exclusivement par l’obsession des coûts, et polarisant la droite et la gauche dans leurs visions quelque peu divergentes.

Médecins étrangers

Environ 25% des médecins exerçant en Suisse sont des étrangers, cette proportion montant à plus de 30% pour les spécialistes. Dans certains secteurs hospitaliers, ils sont encore plus nombreux.

Il est clair que, pour des médecins étrangers, pouvoir travailler en Suisse représente une sorte d’eldorado, car les revenus de leur activité sont bien supérieurs.

Aux accords bilatéraux de 1999 entre la Suisse et l’Union européenne, zone de provenance quasi exclusive des médecins étrangers, a suivi la reconnaissance mutuelle des diplômes des professions médicales, confirmée en 2005 par le parlement européen.

Dès lors, la Suisse a créé la Commission fédérale des professions médicales, appelée MEBEKO, pour évaluer si les diplômes étrangers sont assimilables au diplôme fédéral de médecin. Mais la Suisse se montre particulièrement docile lorsqu’il s’agit de reconnaître un diplôme étranger. Si les critères pour les spécialisations diffèrent clairement d’un pays à l’autre, la Suisse semble se montrer peu regardante face au diplôme présenté. Comment justifier par exemple qu’un médecin généraliste français, dont la formation post-graduée dure deux ans non prolongeables, soit considéré au même titre que nos médecins FMH qui ont été formés pendant au moins cinq ans? On est proche de la concurrence déloyale. Il y a également des problèmes d’équivalence avec l’Italie et ses spécialistes. Nous ressemblons à de gentils élèves de l’Union européenne, prêts à ouvrir grandes les portes.

Si le MEBEKO donne son accord, le canton est amené à délivrer une autorisation de pratiquer. Mais cela ne signifie pas pour autant que les actes du médecin puissent être remboursés. Il faut encore obtenir le droit de facturer aux assurances-maladies.

Pour cela, les services du médecin cantonal doivent vérifier au préalable que le candidat a bien travaillé trois ans au moins dans des hôpitaux suisses (demande de la FMH dans ses critères de qualité, 2013). C’est ensuite seulement que la demande est examinée à la lumière de la clause du besoin. Si celle-ci est respectée, le candidat obtient alors un code de facturation à la charge de la LAMal. Ainsi, la situation actuelle freine l’installation de nouveaux médecins issus de ce que l’on peut presque appeler une sorte d’immigration de réfugiés économiques européens!

Conséquence des accords bilatéraux

Les accords bilatéraux sont particulièrement défavorables à la Suisse du fait que, si beaucoup de médecins étrangers souhaitent pouvoir s’installer en Suisse, l’inverse reste anecdotique… La Suisse est perdante dans la mesure où elle est parfaitement à même de former les médecins dont elle a besoin. La volonté politique manque, probablement endormie par la conviction que, si les coûts augmentent, c’est d’abord à cause de la croissance du nombre de médecins. Statistiquement, ce n’est pas faux, mais se pose alors la question des besoins réels de la population. Nos responsables politiques, surtout dans le camp bourgeois, ne veulent pas voir la réalité d’une société vieillissante, plus souvent malade, avec des besoins de santé croissants. Cela les conduit à critiquer les acteurs du système: les patients qui consultent beaucoup trop et les prestataires de soins (expression d’ailleurs peu respectueuse) qui ne cesseraient d’abuser de leurs prérogatives. Seules les caisses-maladie semblent rester à l’abri des critiques, peut être grâce à leurs nombreux représentants dans les groupes parlementaires. Ont-ils été élus pour briser ce qu’il est convenu d’appeler le meilleur système de santé au monde?

Et pourtant les délais d’attente, tant chez les généralistes que chez les spécialistes, sont souvent très longs. La Suisse ne songe guère à protéger ses ressortissants issus de ses propres facultés, d’autant que les politiciens ne se gênent pas pour dire que la formation en Suisse coûte trop cher! Préférer des médecins formés ailleurs? Un choix politique judicieux? Car il ne faut pas se leurrer. Pour être un bon médecin, il est indispensable de connaître en profondeur les mœurs, la culture et les habitudes de vie des habitants. Il ne suffit pas d’être compétent, il faut des qualités humaines. De ce point de vue, la volonté de s’installer dans un autre pays pour gagner davantage n’est pas un critère fondamentalement favorable à la meilleure pratique des soins. Une fois encore, ce qui touche à la santé ne saurait être assimilé à un marché au sens habituel du terme.

Suite aux joutes politiques qui ont suivi cette décision et le recours de la majorité des cantons, on s’achemine vers une nouvelle prolongation de trois ans du moratoire, assortie de la volonté exprimée aux Chambres de trouver une solution durable pour maîtriser des coûts. Bien des idées circulent déjà et nous aurons l’occasion d’y revenir. Mais à trop parler d’argent, nos parlementaires semblent oublier que la santé concerne aussi des personnes et la société qu’elles composent.

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