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Les armoiries de Renens

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2079 15 septembre 2017

Les armoiries de Renens se blasonnent de gueules à deux pals ondés d’argent, au chef du même. Le pal, le nom l’indique, est une pièce verticale. Il traverse l’écu du chef à la pointe, c’est-à-dire du haut en bas, et couvre approximativement le tiers de la largeur. S’il y a plusieurs pals, leur largeur est réduite. Conçues en 1927, les armoiries de Renens reprenaient celles de la seigneurie de Lausanne, y ajoutant deux pals ondés qui représentaient la Mèbre et la Chamberonne.

Dans 24 heures du 4 septembre, M. Alain Détraz attire notre attention sur l’évolution inhabituelle de ces armoiries. Au début, les deux pals ond(ul)ent en parallèle. Mais au fil du temps, une nouvelle version apparaît, dans laquelle les pals ondés ne sont plus parallèles, mais symétriques et se reflètent l’un l’autre.

Selon M. Jean-François Clément, syndic de Renens «la version en parallèle avait été originellement choisie, mais pour une raison qu’on ne s’explique pas, c’est la version en miroir que l’administration a fait réaliser en 1928.»

La modification est-elle vraiment si ancienne? On peut se poser la question, car elle n’est pas reprise dans l’Armorial des communes vaudoises. On ne la trouve ni dans l’édition originale, publiée par cahiers trimestriels dès 1923, rédigée par Frédéric-Théodore Dubois et illustrée par Théodore Cornaz, ni dans la réédition de 1972,  textes d’Olivier Dessemontet et dessins de Louis Nicollier.

Quoi qu’il en soit, la Municipalité a jugé que l’équivoque avait assez duré. Cet automne, elle proposera au Conseil communal d’adopter une fois pour toute la version «symétrique» comme seule officielle.

Seulement voilà, l’héraldique obéit à un code complexe et complet qui repose, non sur le choix individuel ou le résultat d’un vote, mais sur l’usage. Et l’usage héraldique ne relève pas de l’autonomie communale, ni d’ailleurs de quelque autorité politique que ce soit.

Ce sont les Archives cantonales vaudoises qui valident – validation obligatoire – les nouvelles armoiries communales et les modifications apportées à celles qui existent. Et les responsables de la décision finale ne jugent pas en fonction de leurs préférences personnelles. Ils examinent le projet, dessin et texte, du seul point de vue de sa conformité à des usages héraldiques reconnus dans l’Europe entière et au-delà.

M. Clément remarque que le blasonnement, c’est-à-dire le descriptif, des armoiries de Renens ne définit pas l’orientation des deux pals ondés. Il en déduit que la commune a la liberté de décider elle-même de cette orientation.

En réalité, l’absence de spécification ne dessine pas un espace vide à la disposition de l’héraldiste, mais renvoie simplement à des règles implicites qui s’imposent «par défaut».

Dans le monde francophone, par exemple, l’étoile a, par défaut, cinq branches, ou rais. Le blasonnement ne mentionne pas ce nombre. Pour autant, personne ne peut déduire de cette absence de mention la liberté de dessiner une étoile à six rais, ou huit. Les six rais de l’étoile d’argent d’Orzens, par exemple, ou les huit de l’étoile d’or de Bex, font l’objet d’une mention explicite dans leur blasonnement.

De même, quand il y a trois meubles sur un écu (un meuble étant une pièce mobile, que ce soit une cigogne, un sapin ou une coquille), ils sont, en l’absence d’indication, posés «deux et un», deux en haut, un en dessous. Quand leur position est inversée, un en haut et deux en dessous, le blasonnement doit le signaler. Ils sont alors dits «mal ordonnés»… locution qui, soit dit en passant, ne porte aucun jugement de valeur sur le travail du peintre.

De même encore, les pals ondés sont, par défaut, parallèles.

Si les auteurs que nous avons consultés (Gourdon de Genouillac, Ménestrier, Gheusi, Galbreath, Jéquier, Audoin, notamment) ne se prononcent pas explicitement sur la question du parallélisme des pièces ondées, si l’auteur des armoiries originelles de Renens n’en fait pas mention non plus, c’est qu’à leurs yeux, cette question ne se pose pas: deux pals ondés, c’est deux pals ondés! Ils sont identiques et, par conséquent, parallèles.

De fait, dans toutes les illustrations que nous avons trouvées chez ces auteurs, les pals ondés doubles ou triples sont parallèles. Il en va d’ailleurs de même pour les autres «pièces» (contrairement au meuble, la pièce a des proportions déterminées et une place fixe sur l’écu), notamment la fasce, la bande, la barre et leurs réductions. Le Manuel d’héraldique de Donald Galbreath, qui fait autorité aujourd’hui encore, donne les armoiries de Morges avec deux fasces ondées parallèles.

Il n’est donc pas tout à fait exact de dire que la version en parallèle «avait été originellement choisie». L’auteur n’avait pas fait un choix, mais simplement respecté la règle, sans le dire, puisqu’elle allait de soi.

La version soutenue par la Municipalité néglige une règle héraldique fondamentale, la seule peut-être qui ne connaisse pas d’exception: la réversibilité rigoureuse du blason et du blasonnement. En d’autres termes, l’héraldiste averti doit pouvoir non seulement blasonner le dessin, mais aussi, sans incertitude ni risque d’erreur, reconstituer le dessin à partir du blasonnement. Dans le cas qui nous occupe, ce serait impossible, le texte n’indiquant pas l’inversion.

Pour se conformer à l’exigence de réversibilité, il faudrait donc blasonner spécifiquement cette inversion. Mais le terme n’existe pas pour les pièces. Il faudrait l’inventer. Ce serait une première mondiale: modifier le vocabulaire précieux, fermé et cohérent de l’héraldique pour y imposer une nouveauté accidentelle, sans apport esthétique notable, au contraire même, comme on peut en juger ci-dessous!

Par souci de lisibilité universelle, mais aussi par solidarité héraldique avec les autres communes vaudoises, les autorités de la quatrième ville du Canton devraient se soumettre à l’usage séculaire et conserver la belle version d’origine, popularisée par l’Armorial des communes vaudoises.

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