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Les limites du fédéralisme

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2161 6 novembre 2020

S’agissant de la pandémie, les journalistes de la télévision semblent irrémédiablement bloqués sur trois questions, inlassablement reprises. La première: «Madame la Présidente, n’en faisons-nous pas trop peu?» La seconde: «Monsieur le Conseiller fédéral, n’avons-nous pas perdu beaucoup de temps?» Et la troisième, bien entendu: «Ne pensez-vous pas que le système fédéraliste a atteint ses limites?» Dimanche dernier, le meneur de jeu des Beaux parleurs introduisait la question en se demandant si le fédéralisme tuait.

Sous ces questions toutes rhétoriques, on sent l’obsession d’une politique immédiate, spectaculaire, unifiée et «drastique»: davantage d’obligations et d’interdictions, d’alignement, de contrôles policiers et de dénonciations. On veut, pour tout le monde, des masques en permanence et du gel partout, du traçage et des tests. On veut du confinement, des distances sociales, des gestes barrière, des fermetures de frontières, du couvre-feu (strict), des quarantaines (étroitement surveillées), des vaccins (obligatoires). On passe les libertés individuelles par pertes et profits. On dénonce les retards dus à la démocratie directe, qui est un «système de beau temps». On considère les différences les plus évidentes ou les plus profondes comme des imperfections qu’il faut éradiquer. On qualifie de complotiste celui qui met en doute la politique officielle.

Ici, la politique n’est conçue que comme l’exercice extensif et intrusif d’un pouvoir hors-sol, voué à mettre en place des mesures qui s’imposent sans débat parce qu’elles sont «scientifiques». Dans cette perspective, le bien commun est réduit à l’utilité collective immédiate.

Cette conception à la fois utilitaire et désincarnée de la politique conduit tout naturellement à la centralisation des compétences cantonales, en attendant une incorporation rapide de la politique fédérale à celle de l’Union européenne, cette dernière faisant elle-même entendre une «cacophonie» interétatique qui appelle d’urgence une gouvernance sanitaire mondiale. Là, on est au bon niveau, et quand le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, fera savoir officiellement et solennellement à toute la planète qu’il faut faire bien attention à la deuxième vague, les questionneurs télévisuels se diront qu’on est «enfin» en de bonnes mains.

De gauche ou de droite, les représentants des exécutifs fédéral et cantonaux ont répondu aux trois questions rituelles en défendant leurs décisions, accouchées dans la douleur, avec une marge inhabituelle d’incertitude et dans le brouhaha des opinions contradictoires. Leur volonté explicite de faire droit à la situation particulière de leur canton, le fait que l’exécutif fédéral parle dans la même optique fédéraliste – le conseiller fédéral Alain Berset a encore évoqué, le 29 octobre, les bonnes raisons de développer des politiques cantonales spécifiques –, tout cela a mis en lumière une réalité dont les Suisses ne s’avisent pas assez: le fédéralisme n’est pas d’abord un montage juridico-politique complexe pondérant le centralisme consubstantiel à la démocratie parlementaire. Le fédéralisme, c’est d’abord la réalité politique, massive, enracinée, résistante, des cantons. Pour tout ce qui n’est pas de l’ordre militaire et diplomatique, la centralisation reste à la surface des choses.

Les cantons ne valent pas parce qu’ils sont géniaux ou parce qu’ils font tout juste. Leurs politiques sanitaires, même mieux adaptées qu’une politique fédérale centralisée, ne sont pas toujours convaincantes et nos élus, comme toujours, recourent un peu trop facilement aux éléments de langage de la com’ pour s’accorder un satisfecit plein et entier. Mais ce n’est pas la question. La question, c’est que les cantons valent d’abord par le fait qu’ils sont. Ils existent, si l’on ose dire, plus profondément que la Confédération. Leur préservation est la finalité de la politique fédérale. La Confédération est nécessaire aux cantons, mais en tant que moyen.

Dès lors, pour répondre à la question ultime, oui, il arrive parfois que le «système fédéraliste montre ses limites». Et alors? Quel système politique (quel média, quel journaliste) ne montre pas les siennes? Le fait est que le fédéralisme s’impose à nous, limites comprises, comme l’expression la plus complète des réalités cantonales et confédérales. Il dessine le cadre à la fois nécessaire et pertinent de nos actions politiques.

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