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«Entreprises responsables»

Jean-François Cavin
La Nation n° 2162 20 novembre 2020

Dans le débat sur l'initiative «Entreprises responsables», un des arguments les plus frappants qui aient été avancés tient dans une question posée, à l'émission télévisée TTC, par le patron d'une PME active dans le négoce du café. En substance: «Lorsqu'un enfant africain nous livre un sac de café dont le prix est le seul revenu de sa pauvre famille, devons-nous le refuser parce qu'il provient du travail d'un gamin et plonger davantage encore les siens dans la misère?» Voilà bien ce que les initiants ignorent: qui veut faire l'ange fait la bête.

Parmi les critiques fondamentales qu'appelle cette initiative, mettons en effet en avant cette prétention à imposer du dehors, à des Etats qui ne sont pas tous voyous, corrompus ou infirmes, des normes peut-être inadaptées à leur situation réelle. Il n'est pas entièrement déplacé d'y voir une sorte de néo-colonialisme, si bien intentionné soit-il. Lorsque les Etats-Unis s'arrogent le droit d'appliquer leur droit à leurs ressortissants partout dans le monde, nous poussons de hauts cris; et quand nous imposerions notre juridiction au traitement d'actes accomplis sur le territoire d'un autre Etat souverain, ce serait le fin du fin de la politique et du droit?

Dans leur recherche du meilleur des mondes, les initiants vont jusqu'au bout du chemin, dans un esprit d'extrémisme qui n'est pas loin des abus de l'Etat policier. Ainsi nos entreprises devraient examiner quelles sont «les répercussions effectives et potentielles» de leur activité, de celle des entreprises qu'elles contrôlent ainsi que de «l'ensemble de leurs relations d'affaires». Leur obligation s'étendrait donc au comportement du plus lointain fournisseur, pour des méfaits qu'il est impossible de constater puisqu'ils ne sont que potentiels!

Quels méfaits, d'ailleurs? Ce serait la violation des droits de l'homme internationalement reconnus ou de «normes environnementales internationales». Pour les droits de l'homme, on se référera peut-être à une charte de l'ONU. Mais pour les normes environnementales? Ce domaine est en constant mouvement; tel pesticide est interdit ici, toléré ailleurs; la forêt est protégée en Suisse, mais nullement dans d'autres pays et probablement pas sur le plan mondial. Alors, ces normes seraient celles sélectionnées par une poignée d'ONG hors de tout contrôle public? Comment peut-on se distancier des prescriptions des Etats où s'accomplissent des actes éventuellement suspects? C'est dans ces pays que les organisations spécialisées doivent intensifier leur action, forcément de longue haleine, pourquoi pas avec le soutien – clairement cadré – de la Suisse.

Quand on veut modifier la Constitution, on n'est pas dans le domaine de la persuasion, du plaidoyer ou de la prédication. On fait du droit. On recourt à la contrainte. L'exercice demande de la retenue, de la précision et de la cohérence. La Nation a déjà montré que la clause générale de l'initiative, exigeant que «l'économie respecte davantage les droits de l'homme et l'environnement», impose une course sans fin vers un but jamais atteint. Les obligations particulières énoncées dans la suite du texte – mélange de judiciarisation à l'américaine qui promet d'interminables procès, d'internationalisme déréglé et de consignes si extrêmes qu'elles en deviennent impraticables – confirment qu'il faut, contre le chœur des bonnes âmes, rejeter cette initiative génératrice d'insécurité économique et juridique, ici comme dans les pays pauvres.

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