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Les orphelins de Louis XIV

Alain Charpilloz
La Nation n° 2162 20 novembre 2020

Dans un raccourci un brin abusif, comme le sont tous les raccourcis, nous avons écrit (voir La Nation n° 2161, p.4) que «les orphelins d’Hitler, de Staline et de Louis XIV avaient des raisons évidentes de haïr les Etats-Unis». Or, il est clair que ces trois types d’orphelins n’ont pas les mêmes motifs de les haïr, notamment ceux de Louis XIV.

L’aversion que suscitent les USA dans les milieux intellectuels marxisants est de type idéologique. Tel n’est pas le cas dans ce que nous appellerons par commodité «la vieille France», cultivée, nourrie de lettres classiques, nostalgique d’une époque où la France était le «phare du monde». Le siècle des Lumières, qui succéda à celui de Louis XIV, en était le prolongement par la prédominance de la France, prédominance politique, culturelle et linguistique.

Sous le règne du Roi-Soleil, l’Espagne était en déclin, l’Allemagne divisée, l’Italie morcelée, la Russie arriérée, l’Autriche minée par ses divisions. La France dominait le continent par sa population, la richesse de son sol, son art de vivre. Une courtisane de Versailles l’exprima de manière ingénue: «Quel dommage qu’il y ait eu la Tour de Babel. Sinon, tout le monde aurait parlé français.»

L’Histoire a pris un autre tour. Les guerres civiles intra-européennes ont propulsé au faîte de la puissance des acteurs qu’on n’attendait pas: l’Angleterre pour commencer, que son empire enrichit d’abord et appauvrit ensuite, mais surtout son surgeon imprévisible, son enfant rebelle et complice, les Etats-Unis d’Amérique.

La France, une fois l’épopée napoléonienne terminée, garda – comme l’Espagne du reste – une nostalgie tenace de sa grandeur passée. Et – comme l’Espagne – elle en conçut un dépit tourné contre le vainqueur, ce qui lui épargnait une réflexion sur ses propres fautes. La révocation de l’Edit de Nantes, comme les méfaits de l’Inquisition, étaient passés sous silence. Cela s’appelle glisser la poussière sous le tapis.

Ce type de nostalgie et de dépit se mue presque toujours en rancune culturelle, dès lors que la puissance a changé de main. Les Américains – et c’est une chose remarquable – sont jugés comme Balzac jugeait «les bourgeois», haïs par l’aristocratie déchue, méprisés en raison de leur inculture et de leur réussite matérielle. C’est Nestor horripilé par Séraphin Lampion à Moulinsart.

Ces Américains «n’ont même pas un opéra» (Stendhal). Ils en ont plus que la France de nos jours. Ils ne savent ni manger (ce qui n’est pas entièrement faux), ni parler. Un ami médecin, nourri de filière latin-grec, prétend que leur langue n’en est pas une, mais un «mâchouillis». Voilà qui rappelle le «barbaroï» des Grecs anciens, pensant que ceux qui ne parlaient pas grec ne savaient pas parler du tout.

Les Américains sont stupides, incultes. Ils confondent la Suisse et la Suède, alors que nous distinguons sans difficulté le Minnesota de l’Arkansas. Ils se croient tout permis, alors que la France, l’Angleterre, la Belgique et l’Allemagne ont manifesté une délicatesse extrême envers leurs colonies. Ils sont obèses, alors que les Bavaroises sont dégingandées. Ils passent leur temps devant leur télévision, alors que nous passons le nôtre à lire des vers de Virgile et à étudier Platon.

Peut-on y voir une sorte de sédimentation des luttes confessionnelles nées un siècle plus tôt? Car le monde qui a perdu sa suprématie, c’est celui de la Contre-Réforme du concile de Trente. C’est l’ambition d’un ordre social et théologique unifié et achevé, brisé par l’irruption du débat ouvert – donc jamais terminé – source de controverses, mais aussi d’inventivité, de liberté d’esprit, de recherche scientifique, de rejet des carcans, dont l’imposition précoce avait verrouillé l’immobilisme des mondes musulman et chinois auparavant

Les orphelins de Louis XIV ont raison de haïr l’Amérique: elle est le reflet de leurs erreurs. Ce qui ne l’empêche pas d’en commettre à son tour.

But that’s another story.

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