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Cacophonie mondiale

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2175 21 mai 2021

M. TedrosAdhanomGhebreyesus, directeur général de l’OMS, a désigné un «panel indépendant» d’experts chargés d’examiner les actions des Etats contre la pandémie. Leur rapport, Covid 19: Agissons pour que cette pandémie soit la dernière, est clair: les Etats ont été nuls. Leur préparation était lacunaire, les moyens engagés, insuffisants, les dispositifs d’alertes, lents et mous. Pour les experts, ce fut une véritable cacophonie, qu’ils expliquent par l’absence d’une direction politique globale.

Sur le plan institutionnel, le rapport demande la mise en place d’un «Conseil mondial de lutte contre les menaces sanitaires» et d’un «Système mondial de surveillance» fondé sur «une transparence totale». Il veut de surcroît «renforcer l’autorité et le financement de l’OMS» et mettre sur pied un «mécanisme international de financement en cas de pandémie», capable de fournir rapidement entre 50 et 100 milliards de dollars. En d’autres termes, l’OMS s’est révélée incapable, donnons-lui donc plus de pouvoir et plus d’argent! Pas question de se demander si, peut-être, ce n’est pas précisément son caractère mondial qui la rend si inefficace.

Le discours du «panel indépendant» est calqué sur celui de M. Klaus Schwab, fondateur et animateur du Forum de Davos. Dans son ouvrage paru en 2020, Covid-19, la grande réinitialisation, celui-ci explique que la pandémie est une merveilleuse occasion de réinitialiser le monde, c’est-à-dire de le reprendre à zéro. Lui aussi estime que l’absence d’une «gouvernance mondiale» a causé infiniment trop de dégâts. Lui aussi demande qu’on renforce l’OMS, dont il affirme lui aussi qu’elle a complètement failli.

Avec un aplomb délirant, ces gens brassent des centaines de milliards qu’ils n’ont pas, disposent souverainement des Etats et des populations, les remodèlent dans l’urgence, les soumettent au pouvoir discrétionnaire d’un organisme à venir et dont on ignore tout. Nous sommes à la veille d’un monde nouveau – n’oublions pas que M. Schwab est un missionnaire du transhumanisme – dont ils sont les concepteurs omniscients et tout-puissants. A leurs yeux, la politique n’est que violences et contradictions, il faut lui substituer la gestion professionnelle des experts. Oui, remplaçons la cacophonie des gouvernements nationaux par le fonctionnement rationnel et sans heurts d’une gouvernance mondiale! Le bonheur est à portée de main.

Ces cerveaux cultivent, dans leur bocal international, une vision totalement désincarnée de la réalité. Avec une légèreté incommensurable, ils font litière du caractère organique de l’être humain. Ils tiennent pour rien ses particularités essentielles, son enracinement en profondeur dans le lieu, dans le temps et dans ses relations sociales, son monde intérieur, ses souvenirs et ses projets personnels, ses libertés concrètes. Aveuglés par leur idéologie, ils ne distinguent qu’une masse humaine indifférenciée prête à se couler dans le moule global.

Les politiques cantonales de lutte contre la pandémie ont suscité, notamment à la télévision, la même opposition de principe entre la réalité, multiple et imparfaite, donc «cacophonique», et l’inexistence une, indivisible et sans défaut. En d’autres termes, pour éviter d’affronter les problèmes concrets et leurs inévitables rugosités, il suffit d’évoquer abstraitement un changement de niveau, des cantons à la Confédération, de la Confédération à l’Union européenne, de l’Europe à l’OMS et autres organismes mondiaux. Ailleurs, et tant qu’il ne s’y passe rien, là est le lieu mythique de la perfection.

Peu importe que M. Ghebreyesus, ou Mme Chan qui l’a précédé, ou leurs collaborateurs n’aient jamais manifesté des compétences ou une indépendance particulières. Ce qui compte, c’est l’appareil anonyme et sans défaut de la gouvernance mondiale, c’est lui qui nous sauvera.

Pourquoi, d’ailleurs, ne pas adopter la même approche, proposer les mêmes institutions mondiales toutes-puissantes, exiger la même transparence totale, imposer les mêmes contributions énormes pour résoudre les problèmes de l’agriculture, ceux de la faim et de la malnutrition, ceux de la pollution, de l’accès au numérique, de l’enseignement, des médias, des transports, de l’énergie ou de l’urbanisme?

On a le droit de craindre que d’autres experts indépendants soient en train de nous concocter une fédération d’organismes mondiaux lourdement dotés pour mieux gérer l’entier des problèmes de l’humanité. On peut également être assuré qu’en parallèle, toutes sortes de groupes d’intérêts, politiques, économiques, financiers, idéologiques, sont impatients de squatter ces mécanismes de pouvoir sans vrai chef ni contrôle, annonçant ainsi une fantastique cacophonie mondiale.

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