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Une sale ambiance

Félicien Monnier
La Nation n° 2175 21 mai 2021

On ne compte plus, dans le Canton, le nombre d’affiches contre les deux initiatives phytosanitaires saccagées, taguées d’insultes ou arrachées. L’incendie, dans la nuit du 9 au 10 mai, à Villars-le-Grand dans la Broye, d’un char supportant des bâches appelant à voter NON marque, pour le moment, le détestable sommet de ces actes de vandalisme. Tout y est passé: pneus, bâche, structure et herbe environnante. Prométerre a déposé plainte pénale et appelle à ne pas accuser sans preuves. Cette invitation à la désescalade se comprend de la part du comité du NON. Sauf erreur, on n’a pas entendu les initiants condamner cet incendie.

Si Prométerre a raison de calmer le jeu, on ne saurait s’aveugler sur la violence croissante de certains actes commis au nom de l’écologie. Le 16 avril, des inconnus se revendiquant inofficiellement de la ZAD du Mormont ont recouvert de peinture des véhicules de pompiers de la ville de Lausanne. Il s’agissait de dénoncer leur participation à l’évacuation de la ZAD.

Samedi 8 mai, des militants d’Extinction Rébellion ont bloqué, aux alentours de 15 heures, la circulation dans plusieurs centres-villes suisses. A chaque fois, un militant s’est assis tout seul au milieu de la chaussée muni d’un panneau dénonçant l’inaction des autorités face au réchauffement climatique. A Lausanne, rue Saint-Pierre, les automobilistes et les passants en colère ont eux-mêmes délogé le militant. La police a dû venir le protéger. Le blocage d’axes est la technique fétiche d’Extinction Rébellion. La rigolarde critical mass de cyclistes, qui ralentit délibérément le trafic en roulant en peloton, poursuit le même objectif. Que les militants prennent leurs enfants comme boucliers humains, jouent du djembé ou dansent en habits colorés ne doit pas masquer la violence de leurs actes.

Bloquer un axe est un acte de contrainte ayant des conséquences sur les centaines de personnes dont le programme est chamboulé par l’action. Et l’on ne parle pas encore de l’incendie d’un char agricole. L’effronterie infantile de certains militants, l’atmosphère festive qui accompagne plusieurs de leurs actions, contraste avec la gravité de la situation climatique qu’ils dénoncent. On se souvient des «clowns médiateurs» de la colline du Mormont. Ils ne sont rien d’autre que l’expression de leur sentiment d’impunité.

Les acquittements prononcés par le Tribunal d’arrondissement de Lausanne ou le Tribunal cantonal genevois à l’égard des manifestants du Crédit Suisse auront indubitablement contribué au désordre.

La cause écologique n’est pas seule concernée. Des militants LGBTQIAetc gagnent en radicalité. La RTS a récemment à son tour déposé plainte suite au collage, à proximité de ses locaux de Fribourg, d’une affiche appelant à «égorger les violeurs». Cela n’était pas sans faire écho aux insultes subies sur les réseaux sociaux par Claude-Inga Barbey pour son (relativement médiocre) sketch sur le langage inclusif, aux graffitis apposés sur un véhicule du journal La Liberté pour la publication d’une lettre de lecteur constituant un prétendu «appel au viol», ou encore à la récente irruption en salle de rédaction du Temps, d’un collectif féministe. On soulignera tout de même avec ironie que ces actions s’en prennent aux mêmes médias qui avec complaisance n’ont jusque-là cessé, à peu près chaque jour, de donner la parole aux féministes les plus à l’avant-garde.

Ces actes cherchent à lasser, sinon à épuiser les autorités, à dissuader l’opposition et à effrayer les critiques. Leurs auteurs ne se placent pas sur le terrain des idées et de la recherche de la vérité, mais sur celui de la force et de l’idéologie. Il ne fait aucun doute que la RTS, Le Temps ou La Liberté réfléchiront désormais à deux fois avant de publier un article critique ou polémique. Dans le doute ils se tairont, parce que c’est plus facile. Du point de vue de la stratégie de leurs auteurs, ces actes sont des actes terroristes. Il s’agit, en suscitant la peur, d’atteindre un objectif politique. Et un journaliste ou un député qui se tait, ne serait-ce que par dépit, constitue en soi déjà l’atteinte d’un bel objectif.

«C’est la contre-révolution qui est violente!» éructera le militant fier de ses classiques. Cette affirmation se décline aujourd’hui dans les différentes théories des oppressions prétendument «systémiques». La violence oppressive du système patriarcal, racial, capitaliste, ou encore biocide autoriserait la violence des actes individuels, au titre de la légitime défense. L’acquittement des joueurs de tennis du Crédit suisse n’a pas été très loin de l’admettre.

Dans une telle logique, la grandeur de l’idéologie justifie non seulement la violence de l’acte, mais son auteur lui-même. A ce stade de confusion entre idéologie et individualité, la personne finit par s’oublier. Camus avait compris que, pour le terroriste honnête avec son nihilisme, la seule issue à son abandon était sa propre mort, généralement avec celle de ses victimes. Certes, en Pays de Vaud, nous en sommes encore loin, très loin.

Mais les tenants de cette nouvelle radicalité se marginaliseraient, ou à tout le moins en rêvent1. Les jeunes épris à la fois d’écologie intégrale et d’action directe ne sont-ils que de petits bourgeois en attente de passer par la moulinette de la faculté de droit? Cela pourrait ne plus être le cas. D’abord parce que l’Université, ses réseaux et certains de ses enseignants contribuent aussi à susciter des vocations militantes. Mais ce phénomène est connu depuis longtemps. L’apparition chez ces militants d’une double rhétorique du désespoir et de l’urgence est bien plus terrifiante. Si le seul moyen d’empêcher le désastre est d’aller vite, alors tout est permis. Et sans limites.

Notes

1    Krafft Camille, Mère et fille: « On se dispute souvent autour de l’écologie», 24 heures du 17 mai 2021.

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