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Publicité: jusqu’où irons-nous?

Benoît de Mestral
La Nation n° 2196 11 mars 2022

Se reposant sur une kyrielle de rapports, décisions, recommandations, guides, programmes-cadres, lignes directrices… bref sur les intarissables déjections qui résultent de l’important travail bureaucratique accompli entre Bruxelles et Strasbourg, la «Commission spéciale sur la lutte contre le cancer» du Parlement européen présentait au début du mois de février un Rapport proposant au dit Parlement des résolutions à prendre en vue d’établir une «stratégie globale et coordonnée» de lutte contre le cancer1.

Parmi les quelque cent nonante-six propositions faites, outre celles visant la promotion de la recherche, l’accès au dépistage, l’amélioration du système de santé (qui n’occupe qu’une part minime du rapport), en somme visant les services que l’Etat offre à sa population, on trouve quelques autres propositions pour le moins préoccupantes. La Commission propose ainsi notamment d’élargir l’interdiction de fumer aux espaces extérieurs2—lesquels? tous? ne pourra-t-on fumer que caché chez soi à rideaux tirés? —ainsi que de déterminer quels arômes de cigarette électronique sont «attirants pour les mineurs» et devraient dès lors être interdits3.

La Commission s’attaque également à l’alcool, et pire encore, au vin: il est en effet proposé4 de défigurer nos bouteilles en leur ajoutant des étiquettes portant des avertissements sanitaires, et en forçant «l’étiquetage numérique» afin que chacun sache exactement combien de calories ses trois décis lui apporteront. Dans la suite de la décision regrettable que vient de prendre le peuple suisse, la Commission propose encore d’interdire la publicité pour l’alcool, lorsqu’elle vise les mineurs (qui dans certains pays ont pourtant le droit de boire), ou encore lorsqu’elle «encourage la consommation d’alcool». Pareille bêtise ne pouvait sortir que de la bouche d’un eurodéputé… En outre, il faudrait encore interdire toute forme de sponsoring sportif par des marques d’alcool.

On constate que l’argument de la pente savonneuse n’a plus sa place parmi les sophismes, puisque le camp du Bien en a fait son modus operandi. Ainsi, alors que les opposants à l’interdiction de la publicité du tabac affichaient leur slogan «aujourd’hui le tabac, demain le cervelas?», les jeunes verts ont demandé l’interdiction de toute forme de publicité, à peine les urnes closes, par un communiqué intitulé «et maintenant le cervelas». De même, la page Wikipedia pourtant brève sur ledit argument cite ceci comme exemple: «[S]i nous acceptons le paquet de cigarettes neutre, dans six mois on vous proposera la bouteille de vin neutre, et c’en sera fini de nos appellations, et c’en sera fini de nos terroirs, et c’en sera fini de la défense de notre savoir-faire.» Ce constat semble être partagé par Le Temps, qui publiait à la veille du scrutin un article intitulé «Une étiquette “le vin nuit à votre santé” est à l’étude au Parlement européen», avec pour illustration une photo de l’affiche de campagne «aujourd’hui le tabac, demain le vin?»

C’est ainsi que se met en place, dans l’UE et chez nous, un nouvel hygiénisme. Sous prétexte de protéger les jeunes, l’Etat décidera quels arômes de cigarette électronique pourront être vendus aux adultes; sous prétexte de lutter contre le cancer, l’Etat interdira toute publicité pour les produits alcoolisés qui représentent un pan important de notre culture. L’honnête citoyen n’a plus le droit de se saouler après une dure journée de labeur, c’est l’Etat qui le saoule à longueur de journée.

Notes:

1  Rapport de la Commission spéciale sur la lutte contre le cancer du 2 février 2022, sur le renforcement de l’Europe dans la lutte contre le cancer – vers une stratégie globale et coordonnée (2020/2267(INI)).

2  Rapport, pt. 14.

3  Rapport, pt. 12.

4  Rapport, pt. 16.

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