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Occident express 113

David Laufer
La Nation n° 2232 28 juillet 2023

La géographie révèle tant de choses. Il suffit de considérer une carte de la Suisse pour comprendre qu’elle constitue un nœud de granit au cœur de l’Europe, et que pour aller du Sud au Nord et d’Est en Ouest, il est nécessaire de passer par ce nœud. C’est la raison d’être de ce pays depuis des siècles. Et c’est sa chance également. En considérant une carte des Balkans, de semblables révélations se font jour. Par exemple, si l’on veut aller de Belgrade à Split, deux possibilités s’imposent. La route la plus courue part de Belgrade, plein Ouest jusqu’à Zagreb sur 400 km, puis descend plein Sud jusqu’à Split sur 400 km encore. C’est une autoroute, plate est ennuyeuse, et souvent déserte car elle se révèle trop onéreuse pour les conducteurs locaux. La route la plus courte traverse donc la Bosnie. C’est une route nationale qui se déroule sur 500 km en passant par Sarajevo, et serpente entre des collines abruptes couvertes de bois épais, eux-mêmes remplis de loup, d’ours et autres bêtes sauvages. Une bonne partie des drames qui ont affligé cette région depuis des siècles s’expliquent par cette géographie. La Croatie est plane et accueillante, la Bosnie est montagneuse et hostile. Il y a plusieurs siècles de cela, les Ottomans en ont fait leur base car elle représentait une forteresse naturelle contre les attaques venues de Vienne et du Nord en général. Autour de Sarajevo s’est développée une culture multiple, ou coexistaient musulmans, chrétiens orthodoxes, catholiques et juifs. Mais les Ottomans n’ayant laissé aucune infrastructure derrière eux, cette région demeure endémiquement pauvre. La diversité confessionnelle n’a fait qu’ajouter à la complexité d’une situation qui en a fait le centre de la guerre pendant les 10 dernières années du XXe siècle. C’est pourquoi, 25 ans après cette guerre, il n’y a toujours pas d’autoroute, tout reste très peu développé, et les voyageurs se retrouvent forcés de passer par Zagreb, et ainsi de parcourir 300 km supplémentaires. Du temps de la Yougoslavie, l’Etat fédéral faisait des efforts pour distribuer les bénéfices du développement économique avec une relative équité. Mais depuis le décollage de la Croatie grâce au tourisme et à l’entrée dans l’union européenne, et l’explosion économique de Belgrade, la Bosnie, non seulement ne rattrape pas son retard, mais semble s’enfoncer chaque jour un peu plus dans le marasme. Ainsi il semble hélas assuré que, pour des années encore, il faille parcourir 300 km de plus pour aller de Belgrade à Split. Et que les voyageurs, sauf les plus téméraires d’entre eux, continueront à éviter la Bosnie, à ignorer ses splendeurs, et à rester sourds aux souffrances qui sont en train de la miner de l’intérieur. Et tout cela tandis que de l’autre côté de l’Adriatique, à quelques dizaines de kilomètres seulement, c’est l’Italie, trois millénaires de haute civilisation ininterrompus, un pays de lait et de miel à des années-lumière de la Bosnie. La géographie n’a aucune considération pour l’humanité.

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