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Médias: de la diversité à l’uniformité

Frédéric Monnier
La Nation n° 2250 5 avril 2024

Diversité: s’il est un mot dont on nous rebat les oreilles, c’est bien celui-ci. Que ce soit pour les questions de genre, de couleur de peau, d’agriculture («biodiversité») ou que sais-je encore, il faut accepter, promouvoir, encourager la diversité sous toutes ses formes.

Pourtant, il est un domaine dans lequel ce mot ne semble pas, ou plus, autant rabâché; c’est celui des médias dits «de grand chemin» (mainstream), où la diversité des points de vue, des idées, des opinions a peu à peu cédé la place, ces dernières années, à l’uniformisation. Notamment sur certains sujets «chauds», on lit ou entend à peu près la même chose quel que soit le support médiatique utilisé (journal, radio, télévision).

La situation s’est à ce point dégradée qu’elle inquiète des journalistes de Suisse romande, pour beaucoup issus du «sérail», qui ont donc travaillé pour ces médias et constaté de l’intérieur leurs dérives. C’est pour faire part de cette inquiétude qu’une bonne vingtaine d’entre eux, en activité ou à la retraite, ont collaboré à un ouvrage coordonné par Mme Myret Zaki, rédactrice entre autres pour Blick et Bilan, et paru au début de cette année aux éditions Favre sous le titre Sans diversité de vues, pas de journalisme; il convient d’en mentionner aussi le sous-titre, car il résume bien le contenu: Comment les médias souffrent de problèmes idéologiques encore plus qu’économiques. Les contributions en sont courtes, d’une lecture aisée, avec un côté un peu répétitif, mais inévitable dû au nombre d’intervenants faisant des constats semblables.

Comment en est-on arrivé là? A vrai dire, le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est manifesté progressivement, en gros à la fin des années 1990 et au début des années 2000 avec, dans le cas de la presse écrite, la disparition de nombreux titres régionaux rachetés par de grands groupes de presse. De fil en aiguille, comme l’écrit Christian Campiche (p. 21), «aujourd’hui, il n’est pas exagéré de dire que la presse lémanique est en mains zurichoises». Conséquence: moins de journaux, moins de diversité d’opinions. Ce n’est assurément pas la seule cause, mais elle est bien visible.

La plupart des contributeurs pointent du doigt deux événements récents qui ont accéléré encore le phénomène: la crise du coronavirus et la guerre en Ukraine. Quelque opinion qu’on puisse avoir sur ces deux sujets, et à moins d’être de mauvaise foi, on ne peut pas nier que leur traitement par les médias de grand chemin a été et est encore le plus souvent unilatéral, allant même jusqu’à la censure à l’égard des opinions divergentes. De là à prétendre que ces médias sont devenus les courroies de transmission du pouvoir, il n’y a qu’un pas, que beaucoup franchissent allègrement. «Pourquoi [les journalistes] disent-ils, si souvent, tous la même chose? Pourquoi cette liturgie de l’uniformité?» se demande Pascal Décaillet (p. 35); selon lui, «la plupart des journalistes […] ont peur de leurs pairs.» Et Guy Mettan (p. 109) d’écrire que «mettre en cause la version dominante et poser des questions relèvent du suicide professionnel.» Ajoutons à cela la crainte d’être taxé d’ «extrême-droitisme», de conspirationniste, de fasciste, de tous les –istes et –phobes imaginables.

Martin Bernard, ancien journaliste à La Liberté et fondateur de la chaîne d’information Antithèse, fait cependant remarquer (p. 13) que «l’offre médiatique n’a pas diminué. La diversité s’est simplement déplacée vers les plateformes numériques qui regorgent de contenus divers et originaux alimentés par un florilège de nouveaux acteurs.» Or il n’est pas toujours facile de faire un tri dans la jungle d’internet, ensuite il faut écouter ou lire les informations retenues, tout ceci impliquant de la patience et du temps, pour parvenir in fine à se forger une opinion… parfois tributaire d’informations peut-être biaisées, voire fausses!

Même, et surtout, si l’on n’est pas d’accord avec telle ou telle opinion émise dans cet ouvrage, sa parution est pour le moins bienvenue, et il est souhaitable qu’il soit largement diffusé et lu. Mais les coups de gueule de ces journalistes auront-ils un effet sur les rédactions des médias concernés? Celles-ci sont-elles prêtes à faire leur autocritique? A notre connaissance ni 24 heures, ni Le Temps, pour ne citer qu’eux, n’ont parlé de cet ouvrage, renforçant ainsi le sentiment d’une sorte de conspiration du silence de leur part; on trouve certes un compte-rendu d’Eric Fellay sur le site Le Matin.ch, mais si partial et fielleux1 qu’il justifie à lui seul certains propos évoqués dans le livre. Au crédit de la RTS, relevons tout de même que Myret Zaki a été invitée au moins à trois reprises2 pour s’exprimer sur l’ouvrage qu’elle a coordonné.

Il n’en reste pas moins que le chemin à parcourir pour rétablir un certain équilibre de l’information et des opinions dans les médias est encore long.

Notes:

1      Voir à ce sujet sur You Tube la vidéo Moi, « plume de droite» de Raphaël Pomey, un des contributeurs de l’ouvrage.

2     Emissions Six heures-Neuf heures, le samedi du 17 février, Forum du 6 mars et Tribu du 21 mars, à retrouver sur le site www.rts.ch.

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