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Faire sauter le bouchon

Jean-François Cavin
La Nation n° 2250 5 avril 2024

En cette période pascale, comme chaque année, de gigantesques bouchons se forment aux entrées du tunnel routier du Saint-Gothard; dans la vallée de la Reuss avant les Fêtes, dans la Léventine au retour. C’est que les milliers d’automobilistes venus des pays septentrionaux et du nord de la Suisse, roulant sur deux pistes autoroutières jusqu’au goulet, doivent soudain s’encolonner sur une seule voie pour passer le tunnel; de même en sens inverse. C’est évidemment peu pratique! Les périodes de vacances ne sont pas les seules où le passage du Saint-Gothard est une épreuve de patience. Rentrant naguère du Tessin alors que les cols étaient encore enneigés (c’était avant que des travaux ou un accident ferroviaire ne limitent le trafic), j’avais soigneusement choisi mon jour et mon heure pour me présenter au portail d’Airolo: un banal mardi vers 10 heures du matin; et j’ai dû poireauter une demi-heure.

Il en est ainsi parce que le comité de «l’initiative des Alpes», le 20 février 1994, a réussi à inscrire dans la Constitution fédérale un article 84 qui interdit de développer les routes de transit. Il s’agissait, à ses yeux, de protéger les régions alpines contre l’envahissement des moteurs, particulièrement celui des poids lourds. Cela fait donc trente ans que cette mesure d’auto-mutilation crée des difficultés. Le TCS, par son initiative «Avanti», et les Chambres, par leur contre-projet qui a entraîné le retrait de l’initiative, ont tenté de modifier la loi fondamentale; en vain, car le contre-projet a été rejeté en février 2004. On célèbre donc cette année le double anniversaire rond de verdicts populaires bloquant le flux des véhicules.

Et voici qu’il devient nécessaire de rénover le tunnel routier, ce qui en rendra le passage impossible durant des années. Il n’y a guère d’autre moyen d’écouler le trafic que de percer un second tube à deux pistes, à 70 mètres du premier, par où la circulation sera dérivée durant les travaux. Cette solution, ancrée dans une loi fédérale, a été combattue par référendum; mais cette fois-ci, le peuple a accepté. Il faut préciser que le Conseil fédéral a juré ses grands dieux qu’après les travaux, dans chacun des tubes à deux pistes, on n’en utiliserait qu’une pour respecter l’article 84 de la Constitution.

Il serait tout de même temps de revoir le problème et d’éviter l’incohérence de disposer de l’infrastructure favorable à la fluidité du trafic, tout en se refusant à en faire usage! Bien sûr, nous ne plaidons pas pour un viol de la Constitution fédérale. Mais elle peut être modifiée. Formellement, rien n’empêche qu’une de ses normes soit amendée ou annulée en tout temps, même peu après son adoption. Les bonnes pratiques politiques veulent toutefois qu’on respecte la volonté du peuple et des Cantons durant un laps de temps convenable. On parle parfois de dix ans. Même un légaliste sourcilleux doit admettre que les circonstances peuvent changer, de même que l’avis du constituant. Dans notre cas, trente et vingt ans se sont écoulés depuis les derniers scrutins limitatifs.

Le percement du second tunnel a commencé. Les deux tubes seront disponibles en 2030, selon le programme des travaux. Il est temps de réfléchir à la manière de changer la donne constitutionnelle. Ce n’est pas le Conseil fédéral, prisonnier de sa promesse, qui en prendra l’initiative; d’autres forces doivent se manifester. Peut-être les négociations avec l’Union européenne feront-elles bouger les lignes. Quant aux modalités du changement, il convient probablement de distinguer le transit des poids lourds de celui des autres véhicules. Pour les premiers, les possibilités du ferroutage doivent être davantage exploitées et il est théoriquement possible de contingenter les passages.

La Suisse est un Sonderfall, bien entendu. Mais la culture du particularisme ne doit pas déboucher sur le culte de l’absurdité.

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