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Les mille façons de s’assimiler

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2270 10 janvier 2025

Que demande-t-on à l’étranger qui désire s’assimiler, c’est-à-dire incorporer définitivement son je personnel et familial à un nouveau nous collectif? Est-ce seulement une question de durée et d’accoutumance réciproque? Quel rôle y jouent les volontés de l’une et l’autre parties? Les connaissances acquises? La loi? Les réponses ne sont pas uniformes, car elles dépendent de la nature du nous collectif sollicité. Autre est le nous français, autre le nous allemand, autre encore le nous anglo-saxon.

Avant la Révolution, le peuple français était divers; les provinces jouissaient d’une grande autonomie par rapport à Paris; la langue française, unifiée sur le plan administratif depuis le XVIe siècle, était pour le reste composée de multiples langues, dialectes et patois pas toujours compréhensibles d’un bout à l’autre du royaume; les usages et les tempéraments différaient autant que les accents. Ce qui rassemblait tous les Français, c’était le roi, facteur sacré d’unité, assez fort et élevé pour intégrer toutes les différences. S’assimiler, c’était devenir sujet du roi. Il y fallait une «lettre de naturalité».

Le nous français d’après la Révolution est fondé sur le contrat social. L’accepter est un acte individuel, volontaire et réfléchi qui fait d’un individu un citoyen de l’Etat français. Ce nous n’est donc pas d’abord national, culturel ou religieux, caractéristiques qu’au nom de la laïcité on refoule dans la sphère privée. S’assimiler, c’est reconnaître la primauté des «valeurs» universelles des Lumières, notamment le principe égalitaire, les droits de l’homme et la démocratie parlementaire. La portée assimilatrice de ces exigences idéologico-juridiques est faible.

Le nous allemand est ethnique, ou ethnico-linguistique plutôt que territorial. En font partie ceux qui sont de souche allemande et parlent l’allemand. Cette appartenance, qui forme un ensemble aux contours flous, ne correspond pas forcément aux frontières étatiques. L’assimilation reste en surface.

Le nous anglo-saxon est multiculturel. Il s’agit d’organiser la coexistence sans assimilation des diverses communautés établies sur le territoire. C’est le «communautarisme». Aux Etats-Unis, vaste terre d’immigration, les communautés les plus diverses ont pu s’installer et conserver leurs rites religieux et leurs usages. Respecter le drapeau et la Constitution suffit pour «en» être.

Le nazisme définit la communauté politique par l’appartenance raciale. Dans son ouvrage LTI, la langue du IIIe Reich1, le linguiste Victor Klemperer donne la plus grande importance au caractère essentiellement organique de cette appartenance. Cela devrait faciliter l’assimilation, qui relève elle aussi du registre organique. Mais dans la perspective nationale-socialiste, les races, étant inégales, sont imperméables les unes aux autres. L’organique est interne à chaque race. Dès lors, le terme d’assimilation ne désigne qu’un processus de dégénérescence.

Dans un pays communiste, il suffit, théoriquement, de partager l’idéologie du régime et ses perspectives mondiales pour s’assimiler, c’est-à-dire faire partie de l’humanité.

D’autres conceptions sont possibles. Imaginons une tribu de chasseurs sans relations autres que guerrières avec les tribus avoisinantes, très typée physiquement, endogame et dont les traditions règlent la vie sociale de la naissance à la mort. Quelle capacité cette tribu a-t-elle d’assimiler un visiteur venu d’un autre continent? Aucune, à moins de le manger pour s’en approprier les qualités. Dans le meilleur des cas, elle l’intégrera comme un corps étranger bizarre mais pas trop dangereux.

Dans l’Ancien Testament, les mariages des Israélites avec des étrangères sont en principe interdits. C’est dire que l’assimilation est à peu près impossible. Néanmoins, Ruth la Moabite, accompagnant sa belle-mère juive qui retourne au pays après le décès de son mari, déclare solennellement: «Où tu iras j'irai, où tu demeureras je demeurerai; ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu.»2 Mariée à Booz, Ruth donnera naissance à Obed, grand-père de David, ancêtre du Christ. Bel exemple d’assimilation!

D’autres facteurs peuvent jouer un rôle. Les îles sont plus tournées sur elles-mêmes et moins disposées à assimiler l’étranger. Il en va de même des pays encaissés. Et les Etats sont plus enclins à abaisser les règles de l’assimilation quand la population de souche décroît, et encore plus quand il s’agit de régulariser administrativement la situation des flux d’immigrés.

L’assimilation des étrangers qui veulent s’établir chez nous passe par l’acquisition des mœurs, ce langage social qui complète et enracine le langage des mots. Elle passe aussi par le travail et par une certaine connaissance du Pays de Vaud, de son histoire et de sa géographie. Elle se renforce de l’engagement dans l’une ou l’autre association locale ou cantonale et se paraphe au moment où l’assimilé dit spontanément «nous» en parlant du Canton, de son Canton.

Certains nous feront remarquer qu’on en demande beaucoup plus à l’étranger qu’on en attend du natif, souvent blasé sur ces questions. C’est vrai. Et c’est un souci constant de la Ligue vaudoise de faire sortir les natifs de leur indifférence et d’obtenir d’eux qu’ils fassent eux aussi l’effort de s’assimiler à leur pays.

Notes:

1   Victor Klemperer, LTI (Lingua Tertii Imperii), la langue du troisième Reich, Albin Michel, 1996.

2   Ruth 1: 16.

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