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Paquet d’accords Suisse-UE: position et propositions de la Ligue vaudoise

Ligue vaudoiseEditorial
La Nation n° 2292 14 novembre 2025

(Réd.) La consultation concernant le nouveau paquet d’accords Suisse-UE s’est close à fin octobre. A l’exception de l’UDC, tous les partis gouvernementaux ont décidé de soutenir le paquet, sans forcément s’aligner sur les conditions d’approbation. L’article qui suit reprend la réponse de la Ligue vaudoise.

Tous les grands pays qui entourent la Suisse font actuellement partie de l’UE, à laquelle ils ont décidé de déléguer un grand nombre de compétences, que ce soit dans le développement d’un marché intérieur de l’UE ou dans leurs rapports avec leurs voisins. La Suisse est donc amenée, par la force des choses, à traiter avec l’UE.

En tant que mouvement politique dévoué au bien commun du Canton de Vaud et, par extension, à celui de la Confédération suisse, la Ligue vaudoise est favorable à ce que la Suisse entretienne avec tous ses voisins des relations paisibles et même amicales.

Depuis que l’UE a commencé de se constituer, la Suisse a choisi de ne pas y adhérer mais d’entretenir avec elle des relations bilatérales. Ce choix s’est particulièrement manifesté en 1992, quand la Suisse a refusé d’adhérer à l’EEE, à une courte majorité du peuple et une forte majorité (2/3) des Cantons.

La Ligue vaudoise reste favorable à la stabilité des relations bilatérales entre la Suisse et l’UE. En revanche, elle est nettement plus réticente face à l’intensification de ces relations, qui risque, à terme, de contraindre la Suisse à l’adhésion.

La Ligue vaudoise déplore de lire, dans les préambules des protocoles institutionnels récemment signés, que «l’objectif de ces accords bilatéraux est […] de créer des liens économiques plus étroits [sous-entendu: toujours plus étroits] entre les parties contractantes». Cette formule fait écho à celle, fameuse, contenue dans le préambule du Traité de Rome de 1957, qui assigne à l’UE l’objectif de réaliser une «union sans cesse plus étroite entre les peuples européens», lesquels auraient donc vocation à se fondre dans une nation européenne. Ceci ne correspond certainement pas à la volonté profonde des peuples européens, qui aspirent seulement à la paix et à la prospérité.

 

Vote à la double majorité

Avant de livrer son évaluation du «Paquet Suisse-UE», la Ligue vaudoise tient à affirmer que les arrêtés d’approbation doivent sans hésitation être soumis au référendum obligatoire ainsi qu’à la double majorité du peuple et des Cantons. Le «Paquet Suisse-UE» met en jeu la souveraineté politique de la Confédération. La position exprimée par le Rapport explicatif du Conseil fédéral, selon laquelle la Constitution n’est pas touchée, est juridiquement intenable: l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) est manifestement contraire à l’article 121a Cst. La plupart des accords touchent à des compétences que la Confédération n’a pas (notamment vis-à-vis des Cantons). Une éventuelle décision des Chambres de ne pas soumettre les arrêtés d’approbation au référendum obligatoire et, surtout, à la double majorité du peuple et des Cantons constituerait une violation grave de la Constitution, mettant en péril la paix confédérale.

 

Législation d’application

La Ligue vaudoise n’est globalement pas satisfaite par le paquet d’accords, qu’elle juge attentatoires à la souveraineté de la Confédération et, en outre, plutôt défavorables à la Suisse. Estimant que ces traités doivent être renégociés, la Ligue vaudoise renonce à se prononcer sur la législation suisse de mise en œuvre et donc à répondre à toutes les subdivisions de la question 3 de la consultation. C’est donc sous format libre qu’elle fait part de ses critiques aux accords et qu’elle formule ses propositions en vue de leur renégociation.

 

Eléments institutionnels

Les comités mixtes jouent un rôle crucial dans le processus de reprise «dynamique» du droit de l’UE par la Suisse. Mais quelle autorité nomme les délégués suisses au sein de ces comités et avec quel mandat?

Selon une réponse de la Division Europe du DFAE à une question de la Ligue vaudoise, la Suisse est représentée au sein des comités mixtes par l’administration fédérale, généralement dirigée par le directeur de l’office compétent, et, lorsque des intérêts et des compétences importants des Cantons sont concernés, par des représentants cantonaux. Les positions que la délégation suisse doit défendre au sein des comités mixtes sont fixées au préalable, en règle générale par décision du Conseil fédéral, conformément aux compétences et procédures fédérales en vigueur.

La Ligue vaudoise propose que le message du Conseil fédéral (voire une disposition légale) définisse explicitement l’autorité nommant les délégués suisses au sein des comités mixtes (le Conseil fédéral? les départements?) et précise que les délégués suisses prennent position au sein des comités sur mandat impératif de l’autorité qui les a nommés.

Le fonctionnement du mécanisme de règlement des différends (tribunal arbitral) est déterminant pour distinguer une reprise «dynamique» du droit de l’UE respectant la souveraineté de la Suisse d’une reprise «automatique» portant atteinte à la souveraineté de la Suisse et faisant de celle-ci un vassal de l’UE en attente d’adhésion.

Sur le papier, le mécanisme nous paraît respecter la souveraineté de la Suisse. Sur ce point – important – il y a un progrès par rapport à l’Accord-cadre institutionnel finalement abandonné par le Conseil fédéral en 2021.

La Ligue vaudoise prend bonne note de deux précisions importantes figurant dans le Rapport explicatif du Conseil fédéral:

– si la Suisse conteste qu’une disposition nouvelle adoptée par l’UE relève d’un domaine où s’applique la reprise dynamique du droit, il s’agit alors d’un différend qui doit être soumis au mécanisme de règlement; cette affirmation du rapport explicatif du Conseil fédéral est logique et doit s’imposer, même si elle ne figure pas explicitement dans les accords signés;

– l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), s’il est sollicité par le Tribunal arbitral, ne porte pas sur l’interprétation des dispositions contenues dans les accords signés, mais uniquement sur l’interprétation des éventuelles notions de droit européen contenues dans ces accords.

La Ligue vaudoise propose de reprendre ces deux précisions dans les accords eux-mêmes, car elles contribuent à exclure le risque d’un assujettissement de la Suisse à des «juges étrangers».

 

Aides d’Etat

La Ligue vaudoise salue la limitation de la reprise du droit de l’UE relatif aux aides d’Etat à trois domaines seulement: les transports aériens (déjà partiellement surveillés par la Comco), les transports terrestres transfrontaliers et l’électricité.

La Ligue vaudoise est opposée à l’intégration de l’électricité dans l’exclusion des aides d’Etat et propose d’exclure expressément du champ des accords les concessions pour les installations de production électrique, en particulier les barrages.

 

Accord sur la libre circulation des personnes

La Ligue vaudoise déplore que l’ALCP instaure un droit de séjour permanent pour les ressortissants UE/AELE après cinq ans seulement, même pour ceux qui recourent à l’aide sociale ou à l’assurance-chômage. Elle propose de soumettre le droit de séjour permanant aux trois conditions cumulatives suivantes: l’absence de recours à l’aide sociale durant les cinq ans, un taux d’emploi d’au moins 80% durant les cinq ans et un cumul de chômage de six mois au plus durant les cinq ans.

L’ALCP étend le regroupement familial à de nombreux «proches», ce qui rend très difficile la gestion migratoire. La Ligue vaudoise propose de restreindre le regroupement familial au conjoint, aux enfants mineurs et aux éventuels autres parents à charge. La Suisse doit en sus se réserver explicitement le droit d’activer la clause de sauvegarde en cas de multiplication des cas anormaux.

L’expulsion des criminels européens devient très difficile en raison des critères restrictifs imposés par la jurisprudence de la CJUE. La Ligue vaudoise demande de prévoir une exception à l’application de cette jurisprudence s’agissant de l’application de l’article 121 de la Constitution suisse.

L’ALCP ne permet pas de limiter l’afflux d’étudiants. La Ligue vaudoise propose un numerus clausus des étudiants européens dans les hautes écoles suisses, si la proportion de ces derniers dépasse un seuil (par exemple 25% ou 30%).

La libre circulation des personnes pose d’ores et déjà des problèmes réguliers à la Suisse. M. Vincenzo Mascioli, secrétaire d’Etat aux migrations, a reconnu lors d’une conférence de presse le 14 mai 2025 que, si les barèmes proposés par le Conseil fédéral avaient été appliqués ces dernières années, celui-ci aurait dû activer la clause de sauvegarde à huit reprises depuis 2002 (2002, 2003, 2008, 2009, 2011, 2013, 2020 et 2022). De même, la hausse du chômage aurait déclenché le processus à quatre reprises durant la même période.

La Ligue vaudoise propose d’intégrer les barèmes proposés par le Conseil fédéral à l’ALCP en tant que critères permettant d’activer légitimement la clause de sauvegarde, sans que cela ouvre la voie à des mesures compensatoires de la part de l’UE; ces barèmes doivent être inscrits dans une loi fédérale adoptée par les Chambres en même temps que l’ALCP.

Concernant la protection des salaires, la Ligue vaudoise approuve dans l’ensemble les dispositions prévues pour éviter la sous-enchère salariale. Elle soutient en particulier l’assouplissement des conditions à remplir pour obtenir la force obligatoire des conventions collectives de travail. Elle s’oppose en revanche à la protection spéciale des représentants syndicaux contre les licenciements, qui est sans rapport avec la teneur ou l’application de l’ALCP. En outre, la notion de travailleur «indépendant» n’est pas définie dans l’accord: c’est une notion importante à l’heure où se développent toutes sortes d’activités prétendument indépendantes («uberisation»).

La Ligue vaudoise propose de supprimer la protection spéciale des représentants syndicaux contre les licenciements et de préciser dans l’ALCP que la notion de travailleur «indépendant» relève du droit suisse.

 

Contribution financière de la Suisse

La Ligue vaudoise accepte la contribution financière annuelle de 350 millions pour la période 2030-2036. Toutefois, elle déplore que les bases du calcul pour les périodes suivantes ne soient pas d’ores et déjà définies de façon suffisamment précise. Elle s’étonne en particulier d’une variation de 10% envisagée pour de biens vagues «raisons politiques».

La Ligue vaudoise propose de fixer d’ores et déjà les bases du calcul du montant de la contribution de la Suisse au-delà de 2036.

 

Electricité

La libre concurrence impose à terme l’arrêt de subventions institutionnelles, avec pour conséquence une hausse de la fourniture hors frontières, une baisse des investissements dans de nouvelles capacités indigènes (qu’elles soient ou non «renouvelables»), d’où une perte d’autonomie énergétique de la Suisse.

De par ses renvois à de multiples actes juridiques européens contraignants, l’accord a une portée dépassant les questions techniques ou commerciales touchant l’électricité: protection de l’environnement, promotion des énergies renouvelables, voire aménagement du territoire pour produire celles-ci.

Le statu quo est fonctionnel et préférable pour l’autonomie énergétique de la Confédération: la Ligue vaudoise propose de ne pas ratifier l’accord sur l’électricité, même si ce dernier reste dénonçable sans remise en cause des autres accords bilatéraux.

 

Sécurité des aliments

L’accord permet à l’UE d’imposer temporairement en Suisse des actes non législatifs urgents (par exemple en cas de crise sanitaire), avant même qu’un comité mixte ait statué sur leur intégration. Cela constitue une atteinte caractérisée à la souveraineté de la Suisse.

La Ligue vaudoise propose d’exclure toute application d’actes urgents de l’UE sans approbation du Conseil fédéral.

L’accord confère à des institutions de l’UE certains pouvoirs de surveillance et d’enquête en Suisse (contrôles, audits). Il s’agit là aussi d’une atteinte à la souveraineté de la Suisse. La Ligue vaudoise demande de limiter l’intervention des agences de l’UE aux produits qui sont destinés à être importés dans l’UE, à l’exclusion de ceux destinés au marché intérieur suisse ou à des Etats tiers.

 

Appréciation globale

Au-delà de l’aspect hautement technique du paquet d’accord, ce dernier constitue un véritable tournant pour la souveraineté helvétique face à l’intégration européenne. Les descriptions antinomiques que font le Conseil fédéral et la Commission européenne de ces accords, comme le fait que la consultation fédérale ne porte en réalité que sur l’adaptation des lois suisses aux accords déjà conclus, montrent le profond décalage entre deux conceptions politiques: la Confédération suisse, avec ses Cantons autonomes et ses processus démocratiques lents, et une UE en transformation vers un Etat fédéral avec une politique de puissance, étendant son territoire et ses compétences, notamment à travers une idéologie égalitaire et libérale touchant de nombreux domaines, du marché unique à la citoyenneté européenne.

Le cœur du problème réside dans l’instauration d’une «reprise dynamique du droit»: la Suisse accepte d’incorporer, non seulement le droit européen existant, mais aussi ses évolutions futures. Ce mécanisme de «droit évolutif» inscrit la Confédération dans un processus «d’union sans cesse plus étroite entre les peuples européens», selon la logique du cliquet, déjà dénoncée lors du débat sur l’Espace économique européen. Si les premiers accords bilatéraux semblaient sectoriels et dénonçables, leur extension progressive et leur interprétation soumise à un Tribunal arbitral, quoique mixte mais corseté par une jurisprudence évolutive de la Cour de Justice de l’UE qui s’imposera à lui, font craindre une perte de contrôle politique du peuple et des Cantons suisses.

La possibilité de mesures de rééquilibrage en cas de non reprise intégrale du nouveau droit européen, non seulement à l’intérieur de chacun des accords, mais dans tous les accords sur le marché intérieur, constitue un levier puissant que l’UE continuera d’utiliser comme une menace pour contraindre la Suisse, vidant ainsi le débat démocratique sur l’intégration européenne et en particulier sur les impacts de l’immigration européenne.

Face à une institution européenne en constante expansion, la marge de négociation helvétique se réduit. L’illusion d’un compromis équilibré masque des concessions structurelles, où la souveraineté et l’autonomie cantonale semblent menacées par une intégration juridique et politique renforcée, engagée sous un parapluie institutionnel aux contours flous et à l’avenir incertain.

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