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Consternation chez les réformateurs scolaires

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1903 3 décembre 2010
L’avenir professionnel des élèves de la Voie Secondaire à Options (VSO) est sombre, car les patrons ne désirent pas les engager. C’est du moins ce qu’affirme publiquement Mme la conseillère d’Etat Anne-Catherine Lyon, qui en tire un argument majeur pour la suppression de cette voie.

En réalité, septante-cinq pour cent des entreprises vaudoises emploient actuellement un ou plusieurs apprentis provenant de la VSO. Ce chiffre inattendu ressort d’une enquête conduite auprès de cinq cents patrons par l’institut M.I.S. Trend sur mandat du Centre Patronal. L’ouvrage consacré à cette enquête vient d’être publié1.

La «cheffe» du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture l’ignorait donc. Cette incurie est la deuxième révélation de l’enquête. Comment peut-on prétendre conduire une politique scolaire alors qu’on ne sait même pas ce qui attend les élèves qui sortent de l’école? Cela dépasse l’entendement.

Mais bon, le Centre Patronal a fait le travail et il semble que Mme Lyon devrait lui en être reconnaissante. Elle devrait même exulter, elle qui a déclaré publiquement que le sort des élèves de la VSO l’empêchait de dormir. En fait, Mme Lyon est consternée.

Son interview par 24 heures2 dévoile l’ambiance qui règne aujourd’hui dans les milieux de la réforme scolaire. Mme Lyon s’y révèle désemparée, recroquevillée sur elle-même, agrippée à son contre-projet comme un naufragé à une bouée crevée. Tout ce qu’elle a pu dire à la journaliste pour défendre son contre-projet est qu’il prévoit d’introduire des niveaux et d’augmenter le temps scolaire. Un peu léger pour justifier le bouleversement (un de plus) du système scolaire!

Quant à la suppression de la VSO, également prévue par le contre-projet, Mme Lyon, balayant le rapport du Centre Patronal d’un revers de la main, la justifie ainsi: «L’immense majorité des jeunes qui n’ont pu trouver directement une place de formation vient de VSO. En clair, il leur est beaucoup plus difficile de trouver directement une place.» Le terme d’«immense majorité» est, inconsciemment ou non, manipulatoire. Celui qui lit un peu rapidement garde le sentiment que c’est l’immense majorité des élèves de la VSO qui ne trouvent pas d’apprentissage. En fait, la plus grande partie de ceux-ci obtiennent une place, tout de suite ou après une année de formation complémentaire. Au final donc, ce que Mme Lyon dit vraiment, c’est que l’immense majorité de ceux qui n’ont pas trouvé d’apprentissage immédiatement sortent de la VSO. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

De toute façon, l’argument est fallacieux. La VSO étant la voie spécifique qui mène aux apprentissages, il est assez normal que les jeunes qui ne trouvent pas d’apprentissage viennent principalement de cette voie! C’est comme si je proposais qu’on supprime la faculté de droit parce que l’«immense majorité» des juristes au chômage en sortent!

Faisant flèche de tout bois, Mme Lyon croit voir une «parfaite contradiction» dans le fait que les patrons tout à la fois engagent des élèves sortant de la VSO et critiquent cette même VSO. En réalité, on est sur deux plans différents. Les patrons engagent en fonction de l’attitude générale du candidat et de son désir d’acquérir une bonne formation. Cela ne les empêche pas de constater, comme ils le répètent depuis longtemps aux chefs sourds et aveugles qui se succèdent au Département, que les compétences de lecture, d’écriture, de calcul et de compréhension des élèves qui sortent de la VSO sont gravement insuffisantes. C’en est au point que les patrons, ainsi que les écoles professionnelles, s’efforcent de compenser ces manques en ajoutant à la formation professionnelle proprement dite des éléments d’enseignement élémentaire. Ils limitent les dégâts, mais on nous accordera que ce n’est pas une bonne répartition du travail.

Les penseurs de la réforme scolaire font passer leur théorie avant les faits – d’où sans doute leur méconnaissance des réalités révélées par l’ouvrage du Centre Patronal. Dans leur théorie, le principe de l’école unique joue un rôle central. C’est l’angle sous lequel ils considèrent la VSO. Que cette voie ait des défauts, personne ne le nie. Mais n’en aurait-elle aucun que ça ne changerait rien pour les réformateurs. C’est son existence même qui est un défaut inacceptable à leurs yeux. C’est à l’existence de plusieurs filières qu’ils en ont.

Leurs attaques visant la prétendue impasse de la VSO ont pour seul but d’émouvoir la population et d’obtenir qu’elle rejette le système des trois filières tel qu’il existe ou tel qu’«Ecole 2010» propose de l’aménager.

Cela explique la triste mine de Mme Lyon face à l’enquête du Centre Patronal. Ce qui est une bonne nouvelle pour les élèves et les enseignants de la VSO est une très mauvaise nouvelle pour elle: son contre-projet perd son principal argument.


NOTES:

1 «Réformer n’est pas jouer», Etudes et Enquêtes n° 41 du Centre Patronal, rédigé et publiée par Sophie Paschoud.

2 24 heures du jeudi 25 novembre dernier.

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