Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Résistance à l’Europe

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1943 15 juin 2012

On nous déclare d’un ton pénétré et légèrement triomphant que «l’Europe commence à en avoir vraiment marre de la Confédération». C’est donné sous la forme d’une appréciation spontanée, mais c’est en réalité un dogme, qu’avec nombre de ses congénères notre interlocuteur ressasse pieusement depuis vingt ans, depuis ce fameux 6 décembre où le souverain refusait d’entrer dans l’Espace économique européen.

C’est soumis au même blocage dogmatique qu’en 2004, le conseiller fédéral Joseph Deiss, récemment éjecté1 de la Confrérie du Gruyère AOC, condamnait le rejet de l’EEE comme «une erreur historique». Et c’est dans le même esprit, et dans l’idée qu’on y passera tôt ou tard, que M. Alain Jeannet, éditorialiste de L’Hebdo, demande un nouveau vote sur le sujet2. Il juge avec son aplomb habituel que jamais les relations entre la Suisse et l’Union européenne n’ont été aussi pénibles.

Et c’est dans le même esprit encore que M. l’ambassadeur Jacques de Watteville, interviewé par la Berner Zeitung, a repris les habituelles jérémiades sur l’«irritation croissante» de l’Union européenne à l’égard de la Suisse. L’officialité fédérale tombe apparemment d’accord avec la technocratie bruxelloise pour juger les Suisses trop lents à s’adapter aux circonstances nouvelles et à l’évolution du droit européen. Quant au recours à la clause de sauvegarde3 prévue par l’accord bilatéral sur la libre circulation, il provoquerait «de grandes vagues» dans le petit monde bruxellois.

Ailleurs, on souligne complaisamment que les Etats européens ont décidé d’en faire voir à la Confédération. Il y a même un mot anglais pour cela: Swiss bashing (taper sur la Suisse).

Que risquons-nous? Selon M. l’ambassadeur, notre accès au marché européen pourrait être rendu plus difficile, susciter une délocalisation de nos entreprises vers l’Union et «conduire à une perte d’emplois, de savoir-faire et de recettes fiscales en Suisse».

Et que faire? Il faut mieux prendre en compte les revendications de nos partenaires, ce qui signifie réduire les nôtres, conclure les traités plus rapidement, ce qui signifie court-circuiter les institutions suisses, préférer les traités dynamiques aux traités statiques, ce qui signifie accepter des accords internationaux évolutifs sur l’évolution desquels nous n’aurions aucune prise. En gros, il faut s’aplatir, se faire pardonner des finances publiques un peu moins mal en point, une administration un peu moins pléthorique, une présence au travail un rien plus assidue. M. l’ambassadeur recommande aussi de «faire preuve de créativité». Que ne suit-il ce bon conseil? On assiste à une nouvelle offensive contre la Suisse, visant à la placer de force sur le toboggan de l’adhésion à terme. A cet effet, nous subissons à la fois les pressions européennes et les pressions fédérales, les secondes visant à nous dissuader de résister aux premières.

Pourquoi ne dit-on jamais, en haut lieu, que «la Suisse commence à en avoir marre de l’Union européenne», de ses coups bas, de ses pseudo-clauses de sauvegarde, de ses palinodies et de sa rapacité? A défaut de le dire, pourquoi continuons-nous de répercuter si complaisamment les menaces de nos adversaires? Pourquoi ne rectifions-nous pas le tir à chaque occasion, faisant valoir publiquement notre respect scrupuleux des traités, nos contributions financières, notamment aux pays de l’Est4 (on l’a déjà oublié, ce fameux milliard), notre participation, par notre équilibre interne, à l’équilibre européen et aussi, tant qu’à faire, notre réussite économique comparée à la débâcle européenne? C’est vrai que conduire une politique étrangère avec des partenaires aussi exécrables est fatiguant et décevant. Tout est toujours à reprendre. Mais c’est le lot politique ordinaire, surtout pour les petits pays. La politique «zéro problème» n’existe pas.

Surtout, n’imaginons pas, parce que l’Union européenne est mal en point, qu’elle va venir à résipiscence et diminuer ses pressions sur la Suisse.

Par un prodigieux contresens historique, on a organisé l’Europe administrative avant de bâtir l’Europe politique, le bras avant la tête, un énorme bras informe et une petite tête, avec à l’intérieur plusieurs cerveaux de formats divers et souvent en désaccord. Cette entité bureaucratique n’existe que pour elle-même, pour croître et pour durer. Quand les choses vont mal, elle ne se remet jamais en question. Le voudrait-elle qu’elle ne le pourrait pas. Sa seule solution, c’est la fuite en avant. Il faut craindre qu’elle ne réagisse aux problèmes actuels en renforçant la «gouvernance» centrale, ce qui réduirait d’autant le pouvoir des Etats nationaux, en particulier des plus petits et pacifiques d’entre eux.

C’est dire que nous avons encore plus de motifs qu’en 1992 de résister tant aux menaces de la bureaucratie bruxelloise qu’aux actes de faiblesse de nos représentants.

Notes :

1 Lors de leur séance du 7 mai dernier, les membres du Conseil de la Confrérie du gruyère AOC décidaient en effet à l’unanimité de radier l’ancien conseiller fédéral, membre d’honneur, pour son comportement inadéquat dans l’affaire du gruyère du Wisconsin. En revanche, M. Deiss est encore président de l’Assemblée générale de l’ONU, ce qui est presque aussi bien.

2 «Il faut revoter sur l’EEE», L’Hebdo du 23 mai.

3 La clause concerne l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie, la République tchèque.

4 Loi fédérale du 26 novembre 2006 sur la coopération avec les Etats d’Europe de l’Est.

  .

 

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: