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Terre précieuse

Alexandre Bonnard
La Nation n° 1943 15 juin 2012

Sous ce titre, le Centre Patronal a publié en février dernier, dans la série (jaune) Etudes et Enquêtes, un ouvrage dû aux plumes claires et précises de M. Olivier Rau et de Mme Sophie Paschoud.

Les auteurs s’attaquent au problème d’actualité qui est celui de la thésaurisation du sol et de sa relation avec la crise du logement. Nous reprenons les sous-titres des trois parties.

La thésaurisation du sol, une réalité problématique

Olivier Rau propose tout d’abord une définition: un terrain est thésaurisé lorsque son propriétaire le conserve sans intention d’exploiter (à court ou moyen terme) son potentiel constructible, alors qu’il est en zone à bâtir et, de surcroît, équipé ou en voie d’équipement. A ce titre, le thésaurisateur serait présumé spéculateur, contribuant par son égoïsme à la raréfaction des terrains juridiquement et économiquement constructibles et par conséquent à la hausse des prix et à la crise du logement, particulièrement d’actualité dans le bassin lémanique.

Pour s’en tenir au Canton de Vaud, une étude de 2006 de l’observatoire BCV de l’économie concluait à un taux de thésaurisation de 80%. On ignore quelles étaient les bases du calcul.

En 2010, la société i Consulting procédait à des calculs excluant les terrains voués aux résidences secondaires et les parcelles déjà partiellement bâties et sur lesquelles «de nouvelles constructions seraient trop complexes à ériger». Il n’est pas fait allusion aux nombreux parcs des châteaux et manoirs parfois demeurés en zone constructible. L’étude retient qu’environ 65% des terrains constructibles du Canton sont thésaurisés.

La société précitée a ensuite confié à l’institut M.I.S. Trend une enquête auprès de 859 propriétaires avec les résultats suivants: – Plus de 60% des sondés souhaitent préserver un patrimoine ou une utilisation actuelle; – un peu moins de 40% souhaitent préserver la vue; – un peu moins de 10% attendent que les prix montent encore.

A ces arguments cumulables peuvent bien entendu s’additionner d’autres, comme celui de vouloir préserver sa tranquillité ou maintenir un verger sur une parcelle qui pourrait recevoir encore un ou deux bâtiments, ou encore la ferme intention de bâtir, mais sans disposer des fonds propres nécessaires.

Mais en tout état de cause, on constate que seule une très faible minorité des thésaurisateurs peuvent être accusés ou soupçonnés de spéculation.

Quels qu’en soient les motifs, la thésaurisation se trouve confrontée aux problèmes que suscite l’évolution démographique.

En partant des résultats des quatre dernières années, ce seraient plus de 64000 nouveaux habitants qui seraient attendus d’ici à 2020 alors que, selon la disponibilité des zones à bâtir, seuls 28000 à 38000 pourraient trouver à s’y loger, pour autant que la construction se poursuive à un rythme soutenu de 4500 à 5000 logements par année (contre une moyenne de 3800 ces quatre dernières années), le développement étant repoussé progressivement dans ce que l’arrogance lémano-centriste appelle l’arrière-pays. Mais la jurisprudence du TF est formelle! Les collectivités publiques ne peuvent pas, sauf à violer l’art. 15 LAT, compenser les surfaces thésaurisées par des accroissements des zones à bâtir. Le développement par hypothèse justifié d’une commune se trouverait ainsi bloqué, premier effet pervers de la thésaurisation.

Même si les autorités parviennent à convaincre des thésaurisateurs de construire ou vendre pour construire, les démarches, les pourparlers, souvent l’établissement et l’adoption des plans partiels d’affectation ou de quartier, les référendums éventuels, les oppositions et les recours parfois jusqu’au TF peuvent prendre des années. Etablir des programmes de développement des constructions sur des parcelles «immédiatement» constructibles relève souvent de l’utopie.

Le droit de thésauriser fait partie du droit de propriété et «toutes les mesures contre la thésaurisation portent atteinte de manière plus ou moins intensive à la garantie de la propriété». Il est dès lors paru nécessaire de définir le cadre juridique de la garantie de la propriété.

La garantie de la propriété, une liberté comme un autre?

Sophie Paschoud relève la gageure de traiter en vingt-cinq pages un sujet aussi vaste qui suscite une doctrine et une jurisprudence abondantes.

La garantie de la propriété ne figurait pas dans la Constitution de 1874 mais était considérée par la jurisprudence du TF comme un droit constitutionnel non écrit. Ce n’est qu’en 1969 qu’elle a été introduite, avec cette précision qu’une pleine indemnité est due en cas d’expropriation ou de restriction équivalent à une expropriation. Ces dispositions ont été reprises à l’art. 26 de la Constitution actuelle. Comme l’indique l’auteur, l’ancrage constitutionnel de la garantie de la propriété a été réalisé moins «en raison de l’importance que revêt cette institution qu’au vu des limites qu’on entendait lui apporter». Ces restrictions, comme celles de tous les droits fondamentaux, sont définies à l’art. 36 qui en fixe les quatre conditions, soit une base légale, l’intérêt public, la proportionnalité et enfin le respect de «l’essence des droits fondamentaux», qui est inviolable.

Or, on se demande comment l’essence de la garantie à la propriété peut être préservée au vu des dispositions constitutionnelles et légales qui déjà maintenant en restreignent le contenu: outre l’expropriation pour cause d’intérêt public, l’aménagement du territoire, la protection de l’environnement, des eaux, des forêts, de la nature et du patrimoine, sans parler des restrictions de droit civil, Mme Paschoud cite opportunément ce passage du «petit commentaire» de Jean-François Aubert et Pascal Mahon sur la nouvelle Constitution: «La Constitution, qui garantit la propriété, la limite elle-même chaque fois qu’elle attribue à la Confédération une compétence dont l’exercice se répercute sur ce droit. Son contenu résulte en d’autres termes de l’ordre juridique pris dans son ensemble.» On pourrait considérer que le contenu du droit de propriété est ce qu’il en reste après ses restrictions, mais qu’il n’a pas d’essence puisqu’il peut être intégralement supprimé à certaines conditions.

L’auteur nous donne ensuite un commentaire, illustré d’exemples de jurisprudence, sur les quatre conditions précitées pour déboucher sur la question particulière de l’obligation de construire comme instrument de lutte contre la thésaurisation.

Une telle mesure avait été prévue dans le projet de LAT de 1974, rejetée par le peuple en 1976 suite au référendum lancé par la Ligue vaudoise. Sophie Paschoud conteste justement toute tentative de la Confédération de s’attribuer une prétendue compétence implicite pour légiférer sur ce point, mais admet en revanche que la question peut se poser au niveau cantonal. A ce jour, seul Neuchâtel a prévu une telle mesure légale, mais ne l’a jamais appliquée.

Dans un éventuel recours de droit public au TF, il y aurait, en fonction du cas concret, un sérieux débat sur la proportionnalité, dès lors que la seule sanction possible à un refus de construire (quoi? dans quel délai? avec quels moyens?) ne pourrait être que l’expropriation, mesure extrême. On peut certes citer le cas d’Appenzell Rhodes extérieures qui prévoit une obligation de construire dans les dix ans dès qu’une parcelle est classée en zone constructible, avec comme sanction le déclassement automatique, sans indemnité. Ce moyen de pression peut être efficace, mais la commune se tire un balle dans le pied dès lors que redevient inconstructible une parcelle où elle voulait à tout prix voir apparaître une construction! Ceci sans parler du fait que la compatibilité avec l’art. 26 al.2 Cst est éminemment douteuse! Citons encore la question du droit d’emption, dont le Conseil d’Etat vaudois a proposé l’introduction l’année dernière, puis y a renoncé. Indépendamment des problèmes pratiques, notamment économiques, qu’une telle mesure aurait pu susciter, elle introduirait par la petite porte un début de nationalisation du sol.

La boîte à outils

C’est un grand mérite de ce fascicule de ne pas se borner à la critique, mais, loin de nier l’importance du problème, d’examiner la plupart des mesures susceptibles de remédier aux effets négatifs de la thésaurisation. Olivier Rau reprend ici la plume pour exposer dix-huit mesures notées et classées en fonction du respect de la propriété, de leur caractère incitatif, de leur facilité de mise en oeuvre et de leur efficience.

S’agissant de l’efficacité, on peut émettre quelques doutes sur ce classement. L’allègement de l’impôt sur les gains immobiliers vient en tête, mais, à notre avis, une telle mesure n’aurait qu’un effet limité. Mêmes doutes concernant l’exonération limitée dans le temps de l’impôt foncier, classée en deuxième ex æquo. Comment un cadeau de 1/1000 de l’estimation fiscale pourrait-il suffire à décider le thésaurisateur à enfin construire? Comme la conclusion le souligne, la voie du contrat de droit administratif, évoquée par le Conseil fédéral au sujet du contre-projet de loi modifiant la LAT en réponse à l’initiative «Pour le paysage», doit être encouragée. Dans son avant-projet de révision de la LATC, le Conseil d’Etat vaudois a prévu la faculté, pour les communes désirant mettre des terrains en zone à bâtir, de passer avec les propriétaires des contrats de droit administratif prévoyant un droit d’emption en faveur de la commune. Le soussigné en a rédigé d’innombrables, mais cette pratique, qui a presque toujours fonctionné, a été récemment remise en cause.

Enfin, et on ne peut que l’approuver sans réserve, l’auteur souligne que l’aménagement du territoire doit absolument rester en mains cantonales comme le prévoit l’art. 75 Cst et que, dans ce cadre, les autorités doivent constamment veiller à l’équilibre entre l’intérêt public et les intérêts privés, en résistant à la tentation d’un dirigisme abstrait conduisant finalement à imposer le découpage des zones et la destination de chaque parcelle, au mépris de l’autonomie communale et en poursuivant le grignotage de la garantie de la propriété.

A lire!

 

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