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Neuf conseillers fédéraux?

Jean-François Cavin
La Nation n° 1946 27 juillet 2012

L’idée de porter à neuf le nombre des conseillers fédéraux, déjà caressée dans le passé, revient à l’ordre du jour. On en parle dans les partis, sous la Coupole et dans les journaux; un de nos hommes et chroniqueurs politiques les plus notables a publié un plaidoyer dans ce sens dans les colonnes de 24 heures.

L’argument couramment avancé en faveur de cette réforme est que la tâche des conseillers fédéraux s’est alourdie, les dossiers devenant toujours plus techniques et, surtout, appelant une concertation internationale toujours plus poussée; les Sept deviennent donc de grands voyageurs. Après diverses tentatives avortées de décharger les membres de l’exécutif (notamment par la multiplication des secrétaires d’Etat et le renforcement de leur statut), la répartition du travail entre neuf au lieu de sept semble la solution la plus simple.

Le motif de la surcharge ne convainc guère. Les conseillers fédéraux ne sont pas des techniciens et chacun peut maîtriser les aspects principaux des affaires de son département. Il est peut-être plus difficile de voir clair dans les dossiers des autres départements, dans un esprit de collégialité; mais d’avoir à accompagner huit collègues au lieu de six ne serait manifestement pas plus aisé. Quant aux rencontres internationales, pour quelques-unes qui débouchent sur d’utiles accords, combien de conférences parfaitement oiseuses!

 

Les calculs

La vraie raison des adeptes de cette réforme est d’ailleurs bien différente. Avec neuf sièges, la répartition serait plus commode: deux pour chacun des quatre grands partis, et un dernier pour Mme Widmer-Schlumpf tant qu’elle est là, puis pour un vert peut-être. Accessoirement, l’élargissement du collège permettrait au Tessin d’avoir plus régulièrement un conseiller fédéral (notons toutefois que les adeptes de l’ennéade n’ont pas proposé jusqu’ici le rétablissement de la clause cantonale; rien n’interdirait donc qu’on se retrouve avec trois ou quatre Zuricois…).

Cette recette en provenance de la cuisine des partis ne nous impressionne évidemment pas beaucoup. La nouvelle «formule magique», d’ailleurs, ne vaudrait que dans les rapports de force actuels. Que vienne à s’effondrer un des partis gouvernementaux majeurs, et le chiffre de neuf deviendrait un casse-tête comme celui de sept aujourd’hui. On ne bâtit pas les institutions selon les résultats électoraux du moment.

 

Les objections

De fortes objections s’opposent à l’élargissement. Citons d’abord – mais plutôt pour mémoire – la crainte souvent formulée qu’il porte durement atteinte à la collégialité. Ce n’est pas tout faux, puisque l’unité morale, ou du moins le respect des collègues, s’amoindrit nécessairement quand le cercle s’étend. Mais reconnaissons que la collégialité a déjà pris de rudes coups depuis l’intensification des luttes partisanes accompagnant la montée de l’UDC; du temps des fortes têtes Couchepin et Blocher, et du rejet de Samuel Schmid par son propre parti, il y avait plus de piques et de bagarres que de solidarité à l’échelon gouvernemental même. De plus, l’essor de la presse politique à sensation conduit les conseillers fédéraux à s’exprimer trop souvent à tort et à travers, alors que la collégialité exige la discrétion; et la médiatisation de leurs figures à fins électorales n’arrange rien.

Il est vrai en revanche que l’élargissement de l’exécutif pousserait au renforcement de sa présidence, dont il est déjà question avec l’effectif d’aujourd’hui. L’accroissement du nombre des sièges appellerait en effet un effort supplémentaire de coordination. Mais une présidence plus longue que l’année actuelle, donc la prééminence d’un des magistrats, serait profondément contraire à la diversité de la Confédération, dont les Etats membres ne sauraient se reconnaître en une seule personne.

Surtout, la multiplication des départements entraînerait fatalement une croissance administrative renforçant la centralisation.

 

Un département de la Formation?

On perçoit concrètement le risque d’un nouvel accaparement des pouvoirs par la Berne fédérale avec l’esquisse de ce que serait l’un des deux nouveaux départements: celui de la Formation, de la Science et de la recherche, dont la création est souhaitée par divers adeptes du tout-au-Bund. Lors de la nomination du nouveau secrétaire d’Etat coiffant désormais les domaines des hautes écoles et de la formation professionnelle, que n’a-t-on pas lu sur l’occasion manquée de choisir une personnalité de premier plan, voire visionnaire… et sur le paradoxe de cette Suisse dont la seule matière première est la matière grise et qui se contente d’un fonctionnaire pour mener une politique de niveau ministériel!

C’est oublier gravement que, dans notre Confédération aux cultures multiples, la formation générale relève de la souveraineté des cantons, universités comprises à l’exception des écoles polytechniques; que la recherche se porte d’autant mieux qu’elle fleurit au sein de hautes écoles autonomes, et non sous tutelle administrative; que les hautes écoles spécialisées présentent déjà l’exemple consternant d’une structure inutilement et maladroitement fédéralisée en partie; et que la formation professionnelle, pour sa substance, relève bien plus des métiers organisés que de l’administration publique.

Le cas de la formation et de la recherche, présenté par d’aucuns comme l’illustration du besoin de multiplier les départements, apporte au contraire la démonstration du danger majeur que recèlerait le passage à neuf maroquins.

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