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Né sous Higgs

Cédric Cossy
La Nation n° 1946 27 juillet 2012

Ça y est! Après plusieurs mois de fonctionnement du grand collisionneur de hadrons (LHC) et ses deux groupes de détecteurs «atlas» et «CMS» au CERN, des observations statistiquement fondées confirment l’existence du boson de Higgs. Les médias nous expliquent savamment que la preuve apportée à l’existence de cette particule permet enfin de compléter et valider la théorie du «modèle standard», capable d’unifier les théories de la gravitation, de l’électromagnétisme et des interactions nucléaires faibles et fortes.

Il faut s’associer aux félicitations adressées au physicien écossais Peter Higgs qui, avec quelques collègues dont on avait oublié le nom1, théorisèrent l’existence de cette particule et ses propriétés en 1964 déjà. Remarquons que quarante-huit ans et dix milliards de francs auront été nécessaires pour matérialiser l’appareillage requis pour apporter cette preuve.

Mais doit-on, plus loin que ces félicitations, participer à l’allégresse des médias?

Nous avons été ces derniers jours arrosés d’explications savantes ou vulgarisées sur les propriétés de ce boson et la nécessité de son existence pour valider ce fameux modèle standard. Nous avons été bombardés de métaphores soit trop simplistes pour un esprit logique, soit trop abstraites ou complexes pour un entendement normal, ceci pour tenter de nous faire comprendre ce qu’est ce fameux boson. Ainsi le «Higgs» pourrait être comparé à l’effet d’une rumeur lâchée dans un groupe de personnes dispersées dans une pièce, qui pousse les gens à s’agglutiner pour en débattre. Ailleurs, c’est une analogie gravifique à la notion de champ électromagnétique qui est utilisée; encore faudrait-il être bien au clair sur l’électromagnétisme pour saisir l’analogie. Ou bien le «Higgs» est présenté comme l’un des quatre «ciments» qui permettent l’assemblage des leptons et autres quarks en atomes ou autres noyaux. Le physicien Léon Lederman a, quant à lui, ironisé sur le fameux boson comme la «particule de dieu», inventée par le Créateur pour mettre un peu de désordre et de diversité dans la matière. Les chercheurs du CERN, attachés aux faits, nous indiquent sa masse, mais l’expriment en unités d’énergie électrique2. Bref, ce sacré boson (tout comme ses collègues gluons, photons et autres bosons vecteurs) se dérobe à notre entendement, ceci de manière proportionnelle aux efforts consentis pour en appréhender l’essence.

la preuve existentielle de ce boson n’est de plus scientifiquement pas très fertile: les physiciens théoriques n’ont pas attendu cette confirmation pour exploiter les possibilités prédictives de la théorie de Higgs or, en quarante-huit ans, celle-ci n’a apparemment pas permis de prévoir grand-chose d’autre que l’existence – démontrée en 2005 – d’un nouveau quark et celle d’autres hypothétiques particules, encore plus difficiles à observer que le boson de Higgs la théorie dite de la «supersymétrie», de validité plus universelle que le modèle standard, postule même l’existence de quatre bosons supplémentaires, dont la mise en évidence devrait occuper le CERN pour de longues années encore. Mais la confirmation ou le démontage de ces théories ne changera en soi rien à la perception du monde pour l’humain moyen. Seules les techniques de pointe développées pour conduire ces expériences auront peut-être un jour des retombées pratiques indirectes permettant d’améliorer nos frigidaires, nos ordinateurs ou nos écrans plats. Internet et la messagerie électronique, imaginés au CERN pour faciliter l’échange de données numériques, sont des exemples de telles retombées pratiques.

Ontologiquement, il faut se réjouir de la preuve de l’existence du «Higgs». Cette matérialisation lui fait perdre son statut messianique de «particule de dieu». Certains prétendent que l’existence du «Higgs» apporte à la compréhension de l’univers ce que la découverte de l’ADN a apporté à la compréhension de la vie. On pourrait débattre sur la valeur de cette nouvelle analogie. Force est cependant de constater que, si la biochimie moderne est parvenue à relier le séquençage de l’ADN à l’expression des propriétés physiques des êtres vivants, elle ne résout pas la question de l’origine même de cette vie. Par analogie, la preuve de l’existence du «Higgs» ne dit rien sur l’origine des particules prévues par la théorie. On n’a donc fait que reculer les secrets de l’univers vers des confins plus lointains. Le Mystère a encore de beaux jours devant lui.

Einstein estimait à une petite dizaine le nombre de ses contemporains à avoir compris tous les tenants et aboutissants de la relativité générale. Le nombre de nos contemporains ayant assimilé les détails du modèle standard ne doit être guère supérieur et ne pas inclure beaucoup de journalistes. On s’étonne donc du battage tout public et des commentaires ébaubis des médias dissertant sur l’étayage d’une théorie presque cinquantenaire et déjà dépassée. Voici qui ressemble plus à une grande campagne publicitaire justifiant les coûts pharaoniques du CERN qu’à une réelle avancée scientifique.

 

Notes :

 

1 Robert Brout, François Eglert, Carl Richard Hagen, Gerald Guralnik et Thomas Kibble.

2 La conversion des 125 GeV en unités de masse conventionnelles, rapportée au prix de l’expérience en cours au CERN, permet de calculer le prix du kilo de bosons avec un nombre à 34 chiffres.

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