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«Vive la Fédé! Et que la fête soit belle!»

Félicien Monnier
La Nation n° 1974 23 août 2013

Dimanche 4 août, des centaines de drapeaux se sont dressés sous la cantine de la place de fête de Colombier-sur- Morges. Chaque étendard appartenait à l’une des cent soixante sociétés de jeunesse qui composent la Fédération vaudoise des Jeunesses campagnardes, FVJC pour l’officialité, «Fédé» pour les intimes. La partie officielle bat son plein. Après l’Hymne vaudois, l’assemblée entonne l’hymne de la Fédé Jeunesses, venues de toutes les régions… Les officiels se suivent à la tribune: «Amis fédérés, salut!... Vive le Pays de Vaud! Vive la Fédé! Et que la fête soit belle!»

Les tablées s’agitent. Les résultats des sports tombent. Qui sera le champion cantonal de lutte? Quelle société a triomphé au tir à la corde? Quelle est la plus fine gâchette des Jeunesses vaudoises?

Cette partie officielle marque la fin de trois semaines de fête, de rencontres, de jeux et de sports. Elle est pour tous un moment émouvant. Comme la marque d’une permanence institutionnelle inébranlable au cœur des réjouissances parfois débridées de la jeunesse.

* * *

En règle générale, les sociétés de jeunesse du Canton se retrouvent d’été en été, à l’occasion des quatre girons qui rythment la belle saison. Chacun des girons se fait dans une région différente: la Broye, le Centre, le Nord, le Pied du Jura. Un giron dure environ cinq jours. Tous les cinq ans toutefois, la Fédé au complet se retrouve durant près de trois semaines dans une seule fête: la Fête cantonale des Jeunesses campagnardes.

Les trois dernières éditions, Thierrens 2003, Bavois 2008 et Colombier 2013, ont très positivement défrayé la chronique. Il semble en effet qu’un vent bienveillant, plein de prospérité et d’abondance, se soit mis à souffler sur les Jeunesses campagnardes. La presse, 24 heures en particulier, offre régulièrement aux Jeunesses une attention très importante. Celle-ci s’accroît considérablement lors de la Cantonale. Cet hiver déjà, la presse s’intéressait aux préparatifs de Colombier 2013. Cela contribue à donner un vaste écho populaire à la fête.

Il était dès lors naturel que le public devienne plus nombreux d’année en année, et les fêtes de plus en plus audacieuses. A Thierrens en 2003, 75000 personnes se sont retrouvées sur trois semaines. Colombier aura vu cette année 128000 personnes se réunir sous la tonnelle, au caveau des Anciens, sous la cantine ou encore au karaoké.

Ce qui n’est pas sans dangers. La presse, pourtant admirative, a parlé cet été de «gigantisme». Cela n’est probablement pas faux. Beaucoup admettent qu’une surenchère organisatrice s’est emparée des sociétés de jeunesse du Canton. Par exemple, la question de la gestion de l’argent peut inquiéter. Sommes-nous à l’abri d’un détournement par un caissier peu scrupuleux, d’un gestionnaire de bar indigne de confiance? Jusqu’à aujourd’hui, tout semble avoir fonctionné. C’est heureux. Mais une fête d’une telle taille représente-t-elle encore une activité non commerciale? Nous en sommes convaincus. Espérons que le Service cantonal des impôts partage nos vues.

Cette année, le manque de bénévoles rencontré par les organisateurs, encore quelques jours après l’ouverture de la fête, a peut-être désigné une limite objective: l’engagement que les Vaudois sont prêts à donner personnellement.

Car il en faut des bénévoles, tant l’organisation d’une fête cantonale est une véritable épreuve de force. Les «attractions» phares sont légions. Elles jouent un rôle presque institutionnel dans la vie des Jeunesses. Et les organisateurs savent que leurs infrastructures restent dans toutes les mémoires. La plus importante est sans conteste la tonnelle. Grand bar circulaire, elle trône au centre de la place de fête. Le parasol géant de plus de dix mètres qui lui servait de toit à Bavois en 2008 fait désormais partie de l’imaginaire campagnard vaudois. A Colombier, un carrousel lumineux tournait sur le toit. L’approvisionnement de la tonnelle pose toujours un gros problème logistique. Pour la deuxième fois de l’histoire de la Fédé, les organisateurs ont aménagé un «tunnel à boissons» sous la place, lequel aboutissait dans la tonnelle. Des transpalettes pouvaient y circuler.

Le caveau des Anciens sert viandes froides et vins de fête. Colombier a eu le sien sur deux étages. Le karaoké est le lieu de rencontre des plus jeunes. Il dégage une ambiance de boîte de nuit géante; à la seule différence que son sol est recouvert de copaux de bois et que les prix des boissons défient toute concurrence. L’objectif premier d’une fête de jeunesses n’est pas la rentabilité.

Ces deux bâtiments ont été construits par les membres des jeunesses organisatrices eux-mêmes. Tout comme le reste des infrastructures, des WC aux cuisines, de la décoration à l’aménagement du parking.

Mais les organisateurs n’ont pas pu se contenter de leurs talents de constructeurs.

Encore fallait-il organiser et coordonner. Cinq mille cinq cents bénévoles ont travaillé pour la préparation de la fête. Et combien pour la fête elle-même? De même, la richesse des activités proposées durant les trois semaines de festivités démontre une capacité de management hors pair de la part du comité d’organisation. A la lecture d’un CV, la plupart des entrepreneurs du Canton voient dans l’organisation d’une grande fête de jeunesse la garantie de compétences nombreuses et bénéfiques.

Ainsi, les participants ont-ils pu commencer par un raid sportif de Bavois à Colombier. Cette traversée du Pays – ponctuée de différentes activités – marquait l’ouverture de la Cantonale. Elle rendait hommage aux artisans de l’édition 2008.

De multiples tournois de sports ont rythmé les trois semaines de la fête. Une balade gourmande à vélo, un spectacle de Yann Lambiel, un concours de tir à 300 mètres ont aussi été mis sur pied, de même qu’un tournoi de volley-ball ayant rassemblé trois cent quatre équipes.

Tout cela, de la construction aux rangements, a été planifié et exécuté par des jeunes de moins de trente ans. La Cantonale 2013 n’a pas rencontré de problème majeur, ni sanitaire, ni sécuritaire. Les jeunes Vaudois sont plutôt sages. A l’heure où l’on ne croit plus en les ressources de la jeunesse, qu’une partie de notre monde politique veut prolonger le temps de l’école obligatoire, que les recteurs d’université multiplient les mesures d’accompagnement pour sauver leurs étudiants de l’échec, l’exemple des Jeunesses campagnardes nous fait dire que les jeunes sont dignes de la plus grande confiance.

Les bâtisseurs de la Cantonale tiennent une partie de l’avenir du Canton dans leurs mains. Nous pouvons le constater avec sérénité.

Bien sûr, le succès n’est pas le fruit de n’importe quelle recette. Les Jeunesses vaudoises sont héritières d’une tradition qui se perd dans l’histoire du Canton. Elles offrent un cadre intergénérationnel. Et qui dit rapport de générations dit hiérarchies de l’âge. Les jeunes observent et apprennent. Ils sont les plus vieux de demain, et à leur tour, à l’occasion de la prochaine fête, feront confiance aux plus jeunes pour tenir un bar, organiser un tournoi de foot, mettre sur pied un combat de lutte.

L’air du temps craint et rejette ces structures traditionnelles. D’un revers de la main, on les écarte en y voyant un ramassis de fêtards alcoolisés. Les membres des sociétés d’étudiants en savent quelque chose. L’air du temps se défie des prétendues valeurs qu’il attribue aux Jeunesses. D’aucuns voient dans celles-ci la base de l’électorat UDC dans le Canton, les derniers bastions de respect populaire de l’armée suisse ou une sociabilité archaïque qui respecte un drapeau et ne hue pas une marche militaire. Ceux qui développent un tel discours sont avant tout des ignorants. Ils n’ont jamais mis les pieds ne serait-ce que dans un giron et conçoivent abstraitement la vie des hommes. Mais elle doit se vivre concrètement. Elle s’inscrit dans une réalité politique organique complexe: le Canton et la Confédération qui doit le protéger.

Les jeunesses sont-elles conservatrices? Elles le sont dans ce qu’elles sont et dans ce qu’elles font. Elles ne sont pas conservatrices de conceptions sociales ou politiques conçues abstraitement. La structure mentale de nos bien-pensants empêche ceux-ci d’admettre que l’homme naît, vit et meurt aux côtés des siens, à la place qui est la sienne et que les générations passées lui ont léguée. L’engouement populaire et familial que suscitent les Jeunesses donne tort à ces ramollis qui n’y voient que vulgarité et patriotisme beauf.

Accusons nos Jeunesses de faire de la politique. Accusons-les de conservatisme si on veut. Ce qui est certain c’est que leur politique n’est ni partisane ni institutionnelle. Bien au contraire, les Jeunesses peuvent être fières de ce qu’elles font, d’où elles viennent, et de ce qu’elles apportent au Canton. Leur doctrine doit être d’exister. Qu’elles conservent ce qu’elles sont. On ne leur demande rien de plus!

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