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Suivez le guide - Ensevelis dans la Cathédrale

Ernest Jomini
La Nation n° 1974 23 août 2013

Heureux sort! Mais ce privilège n’a été accordé qu’à un nombre restreint de défunts: évêques, chanoines, membres du clergé. Après la Réforme: membres de la noblesse vaudoise ou bernoise. Environ deux cent cinquante personnes reposent dans le sanctuaire. La plus ancienne inscription funéraire se trouve sur une dalle qui sert de table d’autel dans la chapelle de la Vierge et rappelle les mérites du diacre Gisoin mort en 875.

La sépulture de l’évêque de Lausanne le plus célèbre, le moine cistercien saint Amédée, n’est pas visible. Elle a été retrouvée dans le sous-sol de la Cathédrale lors de fouilles archéologiques de 1910 à 1912 auxquelles participait l’abbé Marius Besson, futur évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (le premier évêque vaudois depuis la Réforme puisque originaire de Chapelle-sur-Moudon). Dans la tombe, on trouva la crosse, le calice et l’anneau épiscopal de celui qui dirigea le diocèse de 1144 à 1158. Ces objets sont déposés au Musée d’Archéologie et d’Histoire au Palais de Rumine. Le Conseil d’État fit exécuter un fac-similé de l’anneau épiscopal qu’il remit à Mgr. Besson. Les ossements reposent dans un coffre à l’évêché de Fribourg. Mais deux paroisses catholiques dédiées à Saint-Amédée possèdent aussi un os du saint, relique de la pierre d’autel: Bellevaux (Lausanne) et Moudon.

Il y a une dalle funéraire qu’on ne saurait manquer: celle de l’évêque Roger Vico de Pisano (1178-1212). Placée sur le sol au milieu du déambulatoire, elle rappelle le souvenir d’un des principaux initiateurs de la construction de la nouvelle cathédrale gothique. Hélas! le marbre sous lequel repose l’évêque a été bien usé aux cours des siècles. Que ce soit la dévotion des fidèles médiévaux désireux de toucher son visage ou l’indifférence de ceux qui, dès la Réformation, n’ont pas craint de marcher sur son tombeau, le résultat est là: le visage est bien abîmé et l’usure du marbre fait que le nez et les lèvres ont disparu.

Rendons-nous maintenant dans le chœur où se trouve le plus prestigieux des tombeaux: celui du chevalier Othon Ier de Grandson. Pierre de Savoie, rassembleur de la Terre vaudoise au milieu du XIIIe siècle, fit de nombreux séjours en Angleterre, car sa nièce Éléonore avait épousé le roi Henri III. Imitant son exemple, de nombreux seigneurs vaudois s’en allèrent tenter fortune outre-Manche. Ce fut le cas du jeune Othon de Grandson qui devint l’ami du futur roi d’Angleterre Édouard Ier. Pendant des années, il exerça des hautes fonctions militaires et diplomatiques au service de la cour de Londres. Il joua un rôle important à la tête du contingent anglais dans la défense de Saint-Jean d’Acre qui dut capituler face aux Ottomans (1291). Revenu au Pays de Vaud après la mort de son royal ami (1307), Othon Ier continua à exercer une influence politique importante au Pays de Vaud et en Europe, jusqu’à sa mort survenue en 1328.

Dans son testament, le seigneur de Grandson avait demandé à être enseveli à la Cathédrale, rare privilège pour un laïc. Il semble que son tombeau ait été construit avant son décès. On le voit revêtu de sa cotte de maille, avec son épée et son bouclier aux armes de Grandson. Othon avait fixé dans son testament le déroulement du cortège funèbre. Le cercueil devait être précédé de deux hommes portant ses armes tenant chacun une bannière aux armes de Grandson et montés sur deux chevaux de prix qui seraient offert ensuite à l’Église de Lausanne. Coutume typiquement anglaise qu’Othon inaugura au Pays de Vaud.

Pour la petite histoire: Othon avait un frère, Guillaume de Grandson, qui lui aussi fit carrière en Angleterre et y resta. Sa fille Catherine, épouse du comte de Salisbury, devint la maîtresse du roi d’Angleterre Édouard III. C’est elle qui, selon la tradition, dansant au bal à la cour de Londres, perdit sa jarretière au grand amusement des courtisans. Mais le roi la ramassa, l’épingla à son pourpoint en déclarant: «Honni soit qui mal y pense.» Il créait ainsi le célèbre «Ordre de la Jarretière». Si l’histoire est vraie, nous pouvons nous vanter du fait qu’une Vaudoise, Catherine de Grandson, soit à l’origine de cette prestigieuse institution de l’Empire britannique.

Quittons maintenant les tombeaux du moyen âge. On sait qu’après la Réformation le chœur de la Cathédrale ne servait à rien pour le nouveau culte. Il devint donc un cimetière de luxe. En parcourant le déambulatoire, on voit au mur les pierres tombales rappelant les illustres Vaudois ou Bernois qui eurent le privilège – payé probablement fort cher – de se voir ensevelis dans la Cathédrale. De longues épitaphes relèvent les mérites des défunt(e)s.

Quittant le déambulatoire, nous trouvons dans la croisée nord du transept deux dalles funéraires de personnalités européennes d’un rang bien supérieur aux de Loys, de Greyerz, de Crousaz ou de Wattenwyl du déambulatoire. On sait que le célèbre Docteur Tissot (1728-1797), renommé dans toute l’Europe, était un pionnier d’une médecine scientifique moderne. On venait de très loin pour se confier à ses soins. C’est ainsi que Charlotte de Wallmoden Gimborn, comtesse du Saint-Empire, vint de Hanovre pour recourir aux bons soins du Dr. Tissot. Hélas! L’art médical a ses limites. L’épitaphe de sa pierre tombale déclare: «… Alors qu’elle était venue à Lausanne pour rechercher la guérison, elle est née à une vie meilleure…» (traduction du latin).

A quelques mètres de là, un autre tombeau prestigieux. La patiente du Dr. Tissot venait encore de plus loin, de Saint-Petersbourg: Catharina Princesse Orlow. C’était l’épouse du prince Orlow, le célèbre amant de la grande tsarine Catherine II. Le Dr. Tissot attirait la clientèle la plus huppée, inaugurant sans le savoir le tourisme médical caractéristique de Lausanne.

En 1804, le Canton de Vaud nouvellement créé édicte une loi selon laquelle il est désormais interdit d’ensevelir les morts hors des cimetières. Il ne devrait donc plus y avoir de nobles et riches défunts ensevelis à la Cathédrale. Et pourtant… A droite dans le vestibule d’entrée, on trouve un important monument funéraire érigé à la mémoire d’Henriette Canning, décédée en 1817 et ensevelie d’abord au cimetière de La Sallaz. Puis sa dépouille mortelle a été recueillie dans l’urne imposante du monument funéraire en 1823. C’était l’épouse de l’ambassadeur d’Angleterre auprès de la Confédération. Il avait joué un rôle important au congrès de Vienne en 1815 pour préserver l’indépendance vaudoise. Aussi le Conseil d’État prit-il sur lui de transgresser la loi. Ainsi sont les Vaudois: ils chantent «l’amour des lois». Mais ils savent aussi trouver parfois de bonnes raisons pour les contourner. Et le gouvernement donne l’exemple. Il est vrai que c’était en 1823!

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