Ambiguïtés diplomatiques
Autrefois, lorsqu’un potentat local se montrait dérangeant, la Puissance coloniale qui prétendait dominer la région, sans demander d’autorisation à personne, dépêchait une canonnière à proximité de la ville, bombardait le port, le fort ou le palais et délogeait l’indésirable. Pour brutale qu’elle fût, la politique de la canonnière avait le mérite de la franchise et de l’efficacité. Pour habile qu’elle puisse paraître au premier abord, la politique à connotation humanitaire de l’ONU ne fait qu’accroître le trouble.
On le voit dans l’affaire libyenne. Les Puissances qui dirigent l’ONU ont, l’espace d’une séance, consenti à une intervention conditionnelle. Le lendemain déjà, la Russie se distanciait, suivie d’autres pays. Puis l’accord d’importants Etats arabes – diplomatiquement indispensable à l’origine – faisait l’objet de réserves des intéressés: car les frappes aériennes des USA, du Royaume-Uni et de la France sont vite apparues comme relevant d’une interprétation extensive du mandat de l’ONU. On peut prétendre, bien sûr, que la meilleure manière de protéger les populations civiles consiste à anéantir un des belligérants. Mais le Conseil de sécurité ne peut pas valider expressément une telle position; par conséquent, il laisse faire. Où est le droit?
L’idée qu’il faut laisser les civils hors du conflit militaire, retenue par les Conventions de Genève, est certes judicieuse. Elle relève de la conception traditionnelle d’un droit de la guerre qui ne nie pas la cruelle réalité du combat, mais cherche à la contenir en la confinant au champ de bataille. Or, sur le terrain, elle est malaisée à appliquer, surtout en cas de guerre civile et de guérilla urbaine, avec l’usage délibéré de «boucliers humains». Lors de l’attaque israélienne sur la bande de Gaza, on n’a jamais su – hormis pour quelques actes – si les victimes palestiniennes avaient été pilonnées volontairement par Tsahal pour briser le moral de la population ou si l’armée israélienne, visant des dispositifs armés de l’ennemi, n’avait pas pu éviter les «dommages collatéraux». L’imbrication des soldats et des civils se renouvelle dans mainte ville de Libye. Et saura-t-on jamais si certaines tueries commises en Côte d’Ivoire résultaient du combat pour la présidence ou relevaient d’autres règlements de compte?
On mesure, une fois de plus, toute l’ambiguïté des décisions de l’ONU, qui est censée préserver le droit international, mais qui, en réalité, prend parti au gré des circonstances et des rapports de force. C’est probablement inévitable, parce que cela découle de l’inexistence de la prétendue «communauté internationale» et de la permanence du désordre mondial. Mais il faut en tirer les conséquences en relativisant la valeur des décisions du Conseil de sécurité. La Suisse, pour appliquer une politique de neutralité conséquente, ne saurait se référer automatiquement aux résolutions de l’ONU pour définir la légitimité d’une intervention militaire. Elle doit s’en tenir à ses propres critères, qui seront des plus restrictifs. Elle ne saurait notamment tolérer le passage de troupes étrangères sur son territoire ou dans son espace aérien, même quand il s’agit de donner une leçon au tyran de Tripoli, ennemi public numéro un de notre pays depuis qu’il a ridiculisé le président de la Confédération. Elle doit aussi s’abstenir de viser une place au Conseil de sécurité.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Imposture – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Suisse mon amour – Jean-Jacques Rapin
- Cathédrale souterraine – Aspects de la vie vaudoise, Frédéric Monnier
- Distinction pour un excellent film vaudois – Aspects de la vie vaudoise, Jean-François Cavin
- La Bienheureuse Passion – Jean-Baptiste Bless
- Après le printemps, l’arrière-automne – Revue de presse, Ernest Jomini
- NON aux «PC familles» – Pierre-Gabriel Bieri
- La myopie des partis – Revue de presse, Ernest Jomini
- La menace du canon de 75 – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Le socio-constructivisme – Cosette Benoit
- Couches profondes – Cédric Cossy
- Au secours des nuls – Ernest Jomini
- Patates – Le Coin du Ronchon