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Juvenilia CVI

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 1935 24 février 2012

Laurence, dix-sept ans, déboule comme un sanglier dans la classe, bouscule tout le monde, jette avec véhémence son sac à côté de son pupitre et m’adresse un regard farouche:

– Je vous préviens, je n’ai rien fait pour aujourd’hui!

– Peut-on connaître les raisons de cette charmante humeur?

– Mes parents! Ils sont insupportables!

Laurence compléta cet adjectif par d’autres qu’il n’est pas convenable de transcrire ici. Je la priai de modérer son langage.

– Vous ne pouvez pas imaginer: ils se fâchent pour un rien, ne m’écoutent jamais, se fichent complètement des efforts que je fais pour réussir mon année. Je n’en peux plus. Parfois j’ai envie de me tirer.

– Avez-vous pensé que vous n’êtes peut-être pas toujours facile à vivre, vous aussi? Que les torts sont éventuellement partagés?

– C’est ça! mettez-vous de leur côté!…

Pendant cet échange, Hernan considérait la scène avec une moue étudiée de sage oriental:

– Ils ont quel âge, tes parents? demanda- t-il sur le ton d’un psy qui va défaire un noeud.

– Quarante-six et quarante-quatre ans. Pourquoi cette question?

– C’est la crise de la quarantaine. Je connais ça, les miens sont pareils: in-gérables! Depuis des mois, j’ai abandonné de leur faire entendre raison. On ne se parle plus, sinon ça tourne systématiquement à l’engueulade. On vit à part et, pour le moment, c’est la meilleure solution.

Virgile, qui jusque-là ne semblait pas concerné par l’incident, interrompt le rangement de ses papiers:

– Incroyable! c’est exactement comme les miens: ils n’arrêtent pas de me crier dessus; ils sont tout le temps sur les nerfs, ou alors abrutis devant la télé. A table, on n’a rien à se dire.

Après quelques mouvements d’approbation assourdis venus du reste de la classe, Hernan reprend son propos:

– Nos parents ne supportent pas leur âge: ils se sentent devenir vieux, alors que nous serons bientôt de jeunes adultes, avec la vie devant nous. Au fond, ils sont à plaindre.

– Alors, que faire?

– Rien. Attendre que ça passe.

Il y eut un étrange apaisement dans la classe électrisée par l’éclat de Laurence et ses conséquences philosophiques. Chacun se mit au travail.

* * *

Quelque temps après, Yoann, dix-huit ans, me raconte avec volubilité et force détails son voyage de bac à Amsterdam. Tout avait été parfait, sauf:

– Le prof qui nous accompagnait était pathétique: il a quarante ans et veut qu’on croie qu’il en a vingt-cinq. Il mettait des tee-shirts qui faisaient honte: «Crazy & Young», «Wasted youth», et des pires encore. J’adore ce prof qui est excellent enseignant, passionné par son métier: je lui dois le meilleur de mes trois années de gymnase. Mais quel dommage: il ne se rendait pas compte qu’il faisait pitié avec ses tenues grotesques. Enfin, ne nous plaignons pas, il y avait un avantage pratique: on restait en boîte jusqu’à quatre heures du matin…

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